Entrevue entre Pierre Amiet et Michel Lopez.

 

Michel Lopez : Pierre Amiet, vous êtes inspecteur général honoraire des musées de France, aujourd’hui à la retraite, vous avez été conservateur en chef du département des Antiquités Orientales du Musée du Louvre et grand spécialiste de l’assyriologie. Dans votre ouvrage publié au Presse Universitaire de France intitulé : " l’Antiquité Orientale ", vous essayez de dresser un bilan de toute une vie de recherche. Que vous inspire ce bilan, et quelles leçons pouvons-nous en tirer dans notre monde contemporain ?

Pierre AMIET : J’ai terminé ma vie professionnelle à 66 ans, en 1988, il y a 11 ans, comme conservateur en chef des Antiquités orientales du Louvre. Ma vocation s’était précisée longuement. Elle s’était déclarée pendant l’été 1936, à la suite d’une libre conversation avec ma tante, Louise AMIET, sœur aînée de mon père, qui m’enseignait le dessin et avait fait, en amateur, des études d’assyrien. Mon père lui-même, ingénieur de la ville de Strasbourg, était passionné d’archéologie locale et par l’histoire en général. Pour moi, je ne séparais pas l’assyriologie (étude des textes) de l’archéologie orientale (recherche sur le terrain, tout en m’intéressant aussi à l’Egypte avec l’encouragement d’un ami de ma famille, le professeur Pierre NONTET qui fouillait le site de TANIS. La recherche archéologique m’est apparue comme ma vraie vocation après la guerre ; je souhaitais faire des fouilles en Orient, tout en concevant toujours ce " métier " en historien soucieux d’établir et de comprendre la suite des faits ou " événements " révélés par la découverte archéologique. Je m’intéressais tout particulièrement aux faits religieux tels que les illustrent les monuments mis à jour.

J’ai découvert concrètement l’Orient en 1950, aux côtés du Père de VAUX, directeur de l’Ecole Biblique de JERUSALEM, qui fouillait le site de TELL EL FAR’AB, en SAMARIE. Mais lors de la reprise des fouilles en 1954 (ma 3e campagne de fouille), j’ai découvert que ma santé et sans doute aussi mon tempérament, ne me permettait pas d’assumer les fatigues de la vie de fouilleur, avec des responsabilités de type presque militaire : c’est un commandement sur les choses qui apparaissent et qu’il faut dégager, et sur les hommes à conduire. Nos ouvriers palestiniens n’étaient pas nécessairement des gens faciles. A mon retour en France, après un voyage d’étude en IRACQ, je me suis marié et j’ai achevé ma thèse de doctorat d’Etat, " La glyptique mésopotamienne archaïque ". J’étais alors chargé de recherche au C.N.R.S.. On m’a alors donné ou plutôt imposé un poste en province, aux Musées de CHAMBERY où, pour abréger, je me suis fait la main de 1958 à 1961, dans le métier de conservateur que je connaissais à peine. J’en ai découvert les grandeurs et servitudes correspondant à une vraie vocation.

J’ai conçu le Musée comme une institution liée à la recherche d’érudition, les objets conservés comme des documents historiques, et le conservateur qui se respecte, comme un érudit qui publie les résultats de ses travaux, sur un pied d’égalité avec ses collègues des institutions complémentaires, universitaires, archéologues, pour ne rien dire des laboratoires. J’ai la faiblesse de juger mes collègues sur ce qu’ils publient, et d’être sévère pour ceux qui ne publient rien de sérieux, c’est à dire des livres et des articles dans des revues spécialisées.

J’ai été appelé au Louvre en 1961, aux côtés d’abord d’André PARROT, chef de la mission archéologique de MARI en SYRIE. Pasteur protestant ( jusqu’en 1949), ancien de l’Ecole Biblique, il avait été mon maître à l’Ecole du Louvre, où j’enseignai désormais. Nous nous sommes bien entendus, et je lui ai succédé en 1968, quand il a reçu la charge de Directeur du Musée du LOUVRE. C’est alors que j’ai écrit un " Que sais-je ", intitulé " Les Civilisations antiques du Proche Orient " (1971), destiné à remplacer celui du prédécesseur d’André Parrot, le Dr Georges CONTENAU. Je l’avais conçu comme un aperçu d’ensemble de l’histoire des civilisations de l’Antiquité Orientale, telle que je l’enseignais dans mon cours d’initiation, dit " Histoire générale de l’Art ", en illustrant par les monuments mis au jour : aussi bien l’architecture, cadre indispensable, qui m’a toujours attiré, que les monuments figurés, même modestes : vases peints, statues, reliefs. Mais quand une vingtaine d’années plus tard, en 1992, les P.U.F. me demandèrent une mise à jour de ce petit livre, j’ai renoncé aux corrections de détail telles que j’en avais proposées plusieurs fois au cours des années écoulées. Car entre temps, et en particulier lors de la rédaction de mon " Art antique du Proche Orient " chez MAZENOD, en 1976, j’avais largement rejeté les vues héritées de mes maîtres et exprimées à mes débuts. J’avais en particulier médité sur la mort des civilisations antérieures à l’antiquité classique, sous la forme très particulière qu’elle a revêtu à certaines époques : non pas la chute d’empires auxquels ont survécu les peuples eux-mêmes, tels que les Assyriens, tombés comme dans le néant après la chute de NINIVE en 612 avant J.C.. Par suite, notre cher HERODOTE, 150 ans plus tard, n’en connaissait plus que des ragots dérisoires. Cette mort m’apparut compréhensible à partir de l’analyse des fondements établis lors de la naissance de ces civilisations, ou plutôt d’un type de civilisation spécifique, à l’aube des temps historiques. Cela imposait une méditation sur l’opposition entre Histoire et Préhistoire, opposition qui tend à être niée ou ignorée par nombre de préhistoriens actuels. Or je m’étais passionné dans mon enfance pour la préhistoire, du fait d’une  juvénile " fascination des origines ", largement partagée. Bref, au moment où je venais de quitter mes fonctions au LOUVRE, j’avais des vues toutes différentes sur l’Antiquité orientale, mais mon âge risquait de m’empêcher de les exprimer en détail. C’est pourquoi j’accueillis avec plaisir la demande de révision ou mise à jour de mon " vieux " " Que sais-je ", que je transformai en un livre nouveau, avec un texte et même un titre nouveaux : " L’antiquité orientale ", tout simplement.

M.L. : Vous attachez une grande importance à l’iconographie qui apparaît comme l’expression de l’intelligence humaine et le déterminant culturel d’un peuple. Cette iconographie est intiment liée à l’expression religieuse d’une civilisation qui naît ou meurt au gré du caractère novateur ou archaïque de cette expression graphique. Comment s’élabore le concept divin dans les civilisations ?

P.A. – Dès le début de mes études universitaires, retardées par la guerre, donc en 1945, j’ai découvert grâce aux cours de d’André PARROT l’intérêt d’une iconographie révélées bien plus, en MESOPOTAMIE, par les sceaux en forme de petits rouleaux, les sceaux cylindriques, que par les grands monuments représentatifs des " arts majeurs ", parce que l’on a attendu très tard, dans les palais assyriens du IXe au VIIe siècle, pour déployer un décor monumental sur les murs des bâtiments, comme en EGYPTE. Les peintures murales du palais MARI sont un peu l’exception confirmant cette règle. J’ai ainsi découvert sur les sceaux cylindres, dès l’époque de la naissance de l’écriture au IVe millénaire, un répertoire bien plus riche que celui des arts réputés majeurs, alors même que André PARROT tendait à dédaigner cet " art mineur ". Il ne le concevait en effet que comme un reflet amoindri du décor monumental et comme illustration de textes connus ou que l’on découvrirait un jour ou l’autre. Pareille attitude ouvrait la porte au pire des concordismes, et surtout conduisait à négliger une analyse spécifique de l’iconographie. Très tôt je m’attaquai à une telle recherche, en m’attachant aux thèmes iconographiques et à leur variantes qui en reflétaient les aspects complémentaires. Naturellement, je tâtonnai, à la recherche de textes sous-jacents, dont je m’aperçus bientôt qu’il n’existaient pas, et à la recherche aussi de thèmes comparables dans d’autres religions. Et sur ce point aussi, je dus admettre l’indépendance du monde oriental, sa spécificité, et à l’intérieur de ce vaste ensemble composite, l’existence de plusieurs cultures originales, en dépit de la priorité mésopotamienne. Car tout a bien " commencé " à SUMER vers la fin du IVe millénaire, à l’époque à laquelle le site sumérien d’URUK a donné son nom. L’iconographie m’est apparue comme une expression de la pensée, largement indépendante de l’expression littéraire, ou en tout cas de la lettre des textes connus, seuls certains thèmes mythologiques ou historiques tels que celui de la victoire royale, pouvant être communs aux deux modes d’expression. Or si l’écriture appelée à devenir cunéiforme est apparue à cette même époque, ce qui est hautement significatif, les premiers textes littéraires sont bien plus récents, car l’outil qu’était l’écriture a été long à mettre au point. Au contraire, l’iconographie crée à l’époque d’URUK est révélatrice d’une institution fondamentale : celle de la royauté sacerdotale, avec un " roi-prêtre ". Après bien des tâtonnements, je choisis pour sujet de ma thèse de doctorat  l’iconographie des sceaux (" la glyptique ") aux époques archaïques, c’est à dire avant l’essor décisif de la littérature sumérienne au temps des rois d’UR, à la fin du IIIe millénaire. Curieusement cet essor avait coïncidé avec le déclin de l’iconographie, alors même que formellement, l’art atteignait un sommet, illustré par la statuaire de GUDEA. Mais il était trop tôt pour que je m’aperçoive du lien qui existait entre expression formelle ou " style " et développement intellectuel. Pour l’heure, je m’attachai à dessiner avec une grande joie les centaines de documents (1506 au total) dont je m’attachai à analyser le message. Ils étaient d’ailleurs si nombreux que je dus m’arrêter à la fin de l’époque des dynasties archaïques, à laquelle avait mis fin l’avènement du premier Etat territorial. Car les rois sémites d’AGADE, entre 2350 et 2150, avaient suscité un art et une iconographie très nouveaux, méritant une étude particulière, à laquelle je devais m’attacher plus tard. Mais dès avant l’achèvement de ma thèse en 1957, je ne résistai pas à la tentation de publier dans un article de revue, une découverte qui me fascina : " le symbolisme cosmique " du répertoire animalier et de ses maîtres d’aspect humain, symbolisme qui se trouvait coïncider avec la cosmologie traditionnelle telle que les grands mythes littéraires la faisait connaître. C’est à dire que chaque domaine du monde : le ciel, l’atmosphère, l’abîme des eaux douces, le soleil.. était personnifié de façon élémentaire par une figure ou un type de figure d’animal, de monstre ou de " héros " maître des animaux, appelé à devenir, dans le classicisme babylonien, l’animal-attribut d’un dieu ou d’une déesse. Or si cette épopée n’avait jamais été illustrée sur les sceaux, pas plus qu’aux portes des palais assyriens, les sceaux-cylindres illustraient une conception du monde accordant une personnalité aux éléments-domaines des dieux proprement dits. Bien évidemment, cette conception du monde des dieux solitaires du cosmos était radicalement incompatible avec le monothéisme, même si chaque cité-état sumérienne, puis BABYLONNE et ASSUR, avait son dieu-patron " unique ", ou du moins régnant en couple avec une déesse. L’étude de cette iconographie montre qu’elle a évolué, et cette évolution révèle un développement de la pensée qui, je le répète, ne pouvait pas déboucher ni sur la perception de la transcendance, ni sur le monothéisme, alors même qu’un " progrès " était perceptible. C’est ainsi que l’on préféra évoquer les dieux par l’image de leur temple, ou leur attributs, mais sans leur image humaine, apparemment considérée comme insuffisante, à partir de la seconde moitié du IIe millénaire. Ce n’était là qu’une approche de la transcendance. Les dieux-patrons de leur cité-Etat avaient reçu dans le courant du IIIe millénaire l’aspect de roi trônant, ou même honoré rituellement. Et c’est ainsi que les dieux avaient été conçus à l’image de l’homme, avec ses sentiments sublimés, parce que le roi jouait dans certaine cérémonies du culte le rôle du dieu de la cité. Les dieux furent donc représentés comme des potentats, associés à des animaux ou héros personnifiant leur domaine cosmique. La conception monarchique de la divinité fut donc solidaire de la cosmologie, dans une Babylonie héritière au IIe millénaire des Sumériens, de leur écriture et d’une part essentielle de leur littérature, mise en œuvre par le corps des scribes-administrateurs de l’Etat royal.

Or ce type d’Etat fut adopté à l’ouest, dans les pays du Levant, ponctuellement dans quelques Etats tels que MARI et EBLA vers 2400 avant J.-C., puis globalement lors de la fondation de royaumes par les nomades Amorrites lors de leur sédentarisation, quelque cinq siècles plus tard. Le monde oriental fut donc organisé largement selon le modèle de l’Etat royal hérité des Sumériens, en Syrie, puis en Anatolie où s’étaient installés les Hittites, Indo-européens. Et un type d’Etat similaire naquit en Crète, puis en Grèce mycénienne, type d’Etat dont le palais royal était le cœur. Mais les Sémites du Levant, comme les habitants appelés Hourrites, descendus du haut-pays du nord, avaient une pensée cosmologique conditionnée par des climats différents de celui du sud mésopotamien. Et surtout, les royaumes du Levant issus de la sédentarisation des nomades, avaient une pensée religieuse différente, conditionnée par la solidarité tribale qui imposait des normes morales inconnues des Sumériens. Cette pensée est mal connue, parce que les textes sont moins nombreux, mais l’iconographie révélée surtout par les sceaux est aussi très différente, en dépit de l’adoption de figure empruntées à la Mésopotamie et aussi à l’Egypte, autre pôle d’attraction majeur, désormais. Cette iconographie dans son foisonnement est bien plus simple sur le plan religieux, car elle illustre un panthéon qui n’est pas organisé comme le cosmos, ou à peine. En somme, ce panthéon est flou, comme la personnalité de son dieu EL, qui ne fut précisée que " tardivement " dans la littérature d’UGARIT, autour du XIIIe siècle. Et cela ne facilite pas une analyse précise. Si EL est devenu le " Père " des dieux, le dieu majeur a toujours été le maître de l’Orage, ADDU appelé BAAL, avec son épouse représentée à l’image des prostituées sacrées, nues ou se dévoilant de façon provocante.

Or au XIIe siècle, le système emprunté à la Mésopotamie craque, les monarchies même prestigieuses s’effondrèrent après que les populations exploitées par les cours royales se furent massivement enfuies au désert pour rejoindre les semi-nomades pillards HABIRU dont dérive vraisemblablement le nom d’Hébreux. Et c’est sur les ruines de ce monde dominé par les empires mitanien et hittite, anéantis, que s’érigèrent des royaumes issus de la sédentarisation des nomades araméens et apparentés, Hébreux entre autres. Ces gens restaient solidaires de leurs groupes tribaux originaux, devenus nationaux, avec leur dieu-patron qui tendit à être identifié au dieu céleste très flou des temps passés. Et ce flou allait ouvrir la voie à une conception plus spirituelle, tandis que l’iconographie égyptisante, héritée de l’époque des états palatiaux du IIe millénaire, était devenue périmée, largement décorative, fantaisiste et vide de signification théologique en dehors de l’image du dieu de l’Orage. Vraiment, un monde nouveau naquit ainsi au Levant au début du 1er millénaire. Dans ces conditions, l’analyse de l’iconographie est désormais décevante, mais impose la prise en compte du rejet traditionnel de l’image par les nomades, qui préféraient des pierres brutes au symbolisme très flou : ancêtres aussi bien qui divinités tutélaires. On entrevoit ainsi une évolution décisive, grâce à la confrontation de traditions très différentes : celle de Mésopotamie encore vivace, remontant aux Sumériens, et celle des pays du Levant qui avait besoins des acquis intellectuels de la Mésopotamie pour être précisée. L’héritage était ambigu, comme le montre l’opposition des prophètes israélites à la civilisation urbaine des Canéens, finalement assimilés.

M.L. : Pourquoi refusez-vous le modèle productiviste développé par certains de vos collègues et qui, schématiquement, expliquent l’histoire de l’humanité à travers une phase de sédentarité des hommes, suivie d’une phase de prise en main agricole de l’environnement avec ensuite la gestion économique de cet espace qui va favoriser, notamment, la mise en place d’un système comptable précurseur de l’écriture ?

P.A. : A la veille de la guerre, la préhistoire restait au Proche-Orient la grande inconnue, à peine entrevue au fond de quelques stratigraphies, alors que les cadres archéologiques des temps historiques semblaient à peu près établis, en référence, tout naturellement, aux faits historiques des grande civilisations écrites . En Palestine seulement, il sembla abusif de se référer à la chronologie égyptienne, et on adopta le système des préhistoriens européens : néolithique ou âge de la pierre polie, cuivre, bronze, fer. Les références aux métaux semblaient plus " scientifiques ". Or le préhistorien anglais, venu d’Australie, Gordon CHILDE, mettait en place depuis les années 20 une interprétation proprement géniale des origines de la civilisation que, de façon non moins géniale, il recherchait au proche-orient, sur les pentes des monts ZAGROS, actuel KURDISTAN, où poussent spontanément, à l’état sauvage, les graminées cultivables. C’est là qu’avait dû naître l’agriculture. A l’image de la " révolution industrielle " de Karl MARX, il conçut une première " révolution " encore plus décisive, dite " néolithique " quoique sans lien précis avec la technique du polissage de la pierre. Elle avait tiré l’homme de sa dépendance originelle à l’égard de son milieu naturel, en le maîtrisant et le transformant pour se faire producteur de sa nourriture, et bientôt de " surplus ", autorisant une expansion en dehors du berceau originel. Cette " révolution néolithique " avait suscité la sédentarisation (ce qui devait se révéler faux), et elle en avait préparé une seconde, celle du passage du village aux villes où tout naturellement avaient été crées l’écriture, etc., grâce à quoi on était entré quelques siècles plus tard dans l’histoire.

Au lendemain de la guerre, l’Américain Robert BRAIDWOOD synthétisa ces vues de façon saisissante dans un schéma montrant qu’entre les " deux révolutions ", néolithique et industrielle, il n’y avait qu’un simple repère, même pas un palier, la " révolution urbaine ". Ni les civilisations classiques, ni la Bible, ni le " miracle Grec " n’apparaissent dans ce schéma extraordinairement réducteur à ce qui était perçu comme l’essentiel !

Et BRAIDWOOD, simultanément, suscitait la recherche très active des témoins de la fine pointe du tout début de la " révolution néolithique " au KURDISTAN ; toute une génération de jeunes archéologues " anthropologues " formés aux méthodes pluridisciplinaires, s’intéressant à tout sauf aux expressions de la pensée, emboîta le pas. Elle devait découvrir le berceau du néolithique au Levant : en ISRAEL et dans la steppe syrienne. Mais si j’applaudis ces découvertes, je ne puis que m’opposer à la philosophie sous-jacente, " matérialiste " comme l’a définie le bon préhistorien qu’est Jacques Cauvin. Je pense que l’essentiel, dans l’histoire humaine, est " intellectuel ", et qu’à cet égard, la mutation néolithique n’est pas aussi décisive que suggère la vulgate suscitée par Gordon CHILDE.

Bien plus décisive est la mutation dont l’invention de l’écriture est l’un des témoins majeurs, mais non le seul, au sein du milieu urbain qui n’a pas été le seul moteur de cette mutation, puisqu’il a existé des civilisations urbaines sans écritures, par exemple en Palestine au IIIe millénaire.

Jacques CAUVIN est l’un des principaux " inventeurs " du berceau du néolithique, dans la steppe syrienne. Il a eu le mérite de s’opposer à ce qu’il a défini comme le " matérialisme " en vigueur chez ses collègues, en s’attachant à la mutation mentale sous-jacente au néolithique selon lui et exprimée par deux " symboles " majeurs : la déesse et le dieu-taureau apparus à l’aube du néolithique. Je pense que la prétendue " déesse " que je préfère appeler la " femme nue ", appartient déjà à la tradition paléolithique (" les Venus "), et qu’elle ne saurait correspondre à une divinité proprement dite. Et surtout, elle illustre une pensée élémentaire, à peine évolutive, expression d’un développement intellectuel tellement lent qu’il a correspondu à peine à une progrès, très tardievement. Ce qui me semble capital, en Sumer comme en Egypte, autour de 3200 avant J.-C., c’est le développement inauguré alors et marqué par un ensemble de " progrès " décisifs, en évolution désormais bien plus rapide. C’est " ce moment " défini par l’archéologie comme l’époque d’Uruk, du nom de la cité sumérienne qui a permis de l’identifier, qui me paraît appeler la plus grande attention, alors que les efforts suscités par la " fascination des origines " continuent massivement à porter sur les temps préhistoriques. Or précisément, la mutation liée à l’écriture est plus exactement celle de l’entrée potentielle mais décisive dans l’Histoire par une prise de conscience proprement historique de ses créateurs. Les traditions des monarchies de type sumérien et pharaonique remontent bien à cette époque.

M.L. : D’une façon volontairement provocatrice, peut-on dire que l’écriture que l’on peut considérer comme une expression affirmée ou élaborée de l’intelligence humaine, soit le fruit d’un mécanisme comptable ou la forme élaborée d’une iconographie issue d’une réflexion prenant ses sources dans le divin ?

P.A. : La plus ancienne écriture proprement dite, en Mésopotamie élargie à la Susiane, est incontestablement liée à la comptabilité. En effet, les plus anciens signes graphiques sont des chiffres, qui tranposent en deux dimensions les " calculi ", pour reprendre le mot latin désignant les cailloux servant à compter et qui a donné notre mot " calcul ". Car ces petits objets façonnés en argile symbolisaient initialement les chiffres. Certes, ils sont apparus dès le néolithique dans tout le monde oriental, mais comme un procédé, non comme l’a cru denyse SCHMANDT-BESSERAT, comme un système dûment organisé de " jetons " symboliques aussi de la nature des choses comptées. C’est seulement à l’époque d’Uruk finale qu’un processus d’élaboration s’est enclenché ; les calculi ont seulement été en quelque sorte normalisés, et surtout regroupés dans des boules creuses ou " bulles " d’argile constituant des pièces comptables, à la surface desquelles on a eu l’idée de les reproduire en deux dimensions, ces bulles étant en outre couvertes d’empreintes de sceaux désormais cylindriques qui en garantissaient l’authenticité. Ensuite, on a porté ces signes sur de petits pains d’argile, scellés eux aussi, sommairement modelés puis plats, que nous appelons les tablettes. Et on a commencé parfois à préciser les chiffres par de rares signes, premiers témoins de l’écriture après les chiffres. Mais simultanément, on a façonné des calculi un peu plus grands, plus élaborés, en forme de têtes de bétail et de cruches, notamment, sur lesquels on a porté des chiffres : multiples (points) ou fractions (lignes). Ce qui est peut-être le plus important, c’est le foisonnement de démarches pour noter des transactions et symboliser la nature de ce qui était échangé.

Et cette multiplicité de recherches, d’efforts, a coïncidé au sein des premières agglomérations urbaines dominant un arrière pays villageois, avec l’essor d’un art nouveau, associant une iconographie dominée par l’homme, bien plus riche que précédemment, et un souci de réalisme que j’appelle un " style nouveau ", par opposition aux stylisations décoratives, rejetant tout réalisme, des époques antérieures, de tradition néolithique. Cet aspect des choses n’a généralement pas attiré l’attention des archéologues " anthropologues ", sous prétexte qu’il est du domaine de l’esthétique, alors qu’il reflète une tournure d’esprit spécifique et toute nouvelle, contemporaine de l’écriture, donc apparemment solidaire, quoique indépendante. Dans l’iconographie apparue essentiellement à Uruk, mais qui avait des antécédents à Suse seulement, une figure majeure que ses fonctions de chef de guerre et de prêtre permettent de définir comme un " Roi-prêtre ", reconnaissable à sa tenue spécifique, illustre pour la première fois un type d’institution royale, fondement désormais traditionnel de l’Etat sumérien. Une tradition monarchique très ferme est ainsi inaugurée. Or cette figure apparaît comme ayant joué dans les cérémonies cultuelles du " mariage sacré " le rôle de dieu conçu de ce fait à son image, de sorte que nous nous trouvons là aux origines de l’anthropomorphisme proprement dit. J ’oppose en effet l’image du Roi-prêtre et celle de son épouse bien humaine aux figures des temps antérieurs, tellement élémentaires avec leur visage systématiquement éliminé ou oblitéré, qu’elles ne me semblent pas pouvoir correspondre à une conception proprement théologique de la divinité. Les figures essentiellement féminines, apparues dès le paléolithique, puis celle de maîtres des animaux des périodes " récentes " de la tradition néolithique, relèvent donc d’un archaïsme antérieur à l’essor simultané de la cité urbanisée, de l’écriture associée à la comptabilité, de l’art ayant le réalisme pour idéal, et enfin de la monarchie sacerdotale et même divine, qui inaugure la tradition de la royauté sumérienne, donc dans un Etat royal. L’écriture a pris rapidement son caractère sumérien d’expression d’une langue spécifique ; elle est donc le premier moyen d’expression d’une identité de type historique, rompant avec le flou antérieur, définissable comme préhistorique.

Les choses sont encore plus claires en Egypte pré et proto-dynastique, qui s’est trouvée en contact avec des porteurs de la civilisation définissable comme proto-sumérienne. Car en Egypte, la monarchie dite pharaonique a largement pris en main l’écriture pour sa propre exaltation et pour entrer ainsi dans la mémoire des descendants, c’est à dire dans l’histoire, du fait du souci des rois de " se faire un nom " en transmettant le leur, écrit pour la première fois ? Ce souci ne se manifeste que plus tard chez les Rois-prêtres sumériens, dont l’identité sumérienne reste l’acquis essentiel, qui inaugure une tradition appelée à se perpétuer jusqu’à la chute de la monarchie babylonienne près de trois mille ans plus tard.

M.L. : Le déclin d’une civilisation paraît lié à son archaïsme issu d’une coupure de la " cité " avec le monde divin, comment expliquez-vous cette coupure ?

P.A. : Il n’y a pas eu " déclin " clairement sensible : là est le " scandale ". Il y a eu chute, effondrement subit de civilisations brillantes, solidaires d’empires imposants avec lesquels il est trop tentant de les confondre. La chute des empires est un lieu commun, une banalité de l’historiographie traditionnelle, alors que normalement, les civilisations ont survécu simplement sous d’autres dynasties. L’effondrement des grandes civilisations orientales a été celui d’un même type de civilisation qui appelle une même interprétation spécifique, qui ne m’est apparu qu’après l’analyse des différentes formes prises par de telles catastrophes totales : dans le monde égéen (Crète et Mycènes) au XIIIe siècle, dans l’empire hittite et dans les royaumes du Levant autour de 1200 avant J.-C. d’une part , et d’autre part en Mésopotamie six siècles plus tard et cependant pour les mêmes raisons.

On peut constater en effet la similitude des types de civilisations détruites en apparence seulement à la suite des défaites militaires ou d’invasions imaginaires telle que celle des Doriens en Grèce. Ces " accidents " ne sauraient avoir été les causes réelles. La cité-Etat sumérienne devenue babylonienne, avec son administration sacerdotale et son Roi-prêtre jouant un rôle du dieu-patron, était solidaire d’une conception du monde spécifique, avec ses dieux gouvernant chaque composante (ciel, abîme..) dont l’harmonie était associée et renouvelée au seuil de chaque année lors des cérémonies illustrant le thème de " l’éternel retour ". Toute théologie unitaire se heurtait à une telle cosmologie devenue archaïque sans pouvoir être dépassée. Et ce système était solidaire de la petite et lourde élite des scribes capables de maîtriser des systèmes compliqués d’écriture, assurant l’administration royale. Par suite, tout craqua en chaîne, une première fois à la fois au cours du XIIIe siècle, en Orient méditerranéen, avec les civilisation royales vivant au dessus de leurs moyens en exploitant leurs populations laborieuses qui s’enfuirent : dans le monde égéens et chez les Hittites, et de là, au Levant vassalisé par ces derniers. Le monopole de la métallurgie du fer ne servit à rien en l’occurrence, ce qui révèle que la supériorité technique revêt une importance toute relative.

Dans le vide politique ainsi crée, marqué par la désertion des villes solidaires des palais royaux, " les peuples de la mer " précédemment dépendants des royaumes mycéniens, ravagèrent les côtes levantines pour être finalement refoulés par Ramsès III. Et les nomades Araméens et apparentés, des franges désertiques de l’intérieur se sédentarisèrent partiellement, en restant solidaires de leurs parents restés nomades. Cette solidarité était assurée par une théologie plus simple de dieux-patrons de groupes ethniques devenus nationaux ; certes Assur joua aussi le rôle de dieu national des Assyriens, mais il resta solidaire du système cosmologique de tradition sumérienne, périmé ailleurs, mais capable de survivre dans son berceau mésopotamien, quelques siècles encore. Mais une simple crise dynastique : une guerre civile entre héritiers d’Assurbanipal à la fin du VIIe siècle, ouvrit la porte aux Mèdes alliés aux Babyloniens qui enlevèrent les villes assyriennes et massacrèrent la petite élite des scribes cunéiformistes qui suffisait à structurer la population. Du coup, celle-ci perdit les garants de son identité et se liquéfia littéralement, tombant dans le néant comme avait disparu l’Etat hittite, ciment d’un empire aussi prestigieux au XIIIe siècle. L’agonie de Babylone après la conquête des Perses fut plus lente, parce que les clergés des antiques cités de tradition sumériennes restèrent en place, alors que les populations avaient largement oublié l’accadien et son écriture cunéiforme, pour adopter l’araméen des nomades, avec leur alphabet tellement plus maniable. De même, les Iraniens introduisirent sur le Plateau auquel ils allaient donner leur nom, une pensée religieuse et même philosophique profondément différente de celle du passé élamite ou resté en marge totale de l’histoire.

Il ne s’ensuivit nulle guerre de religion, pas plus qu’ailleurs. Ainsi se mit en place le monde nouveau de l’Antiquité classique, qui oublia la réalité des fastes des empires disparus, tout comme en somme, les Sumériens avaient oublié leurs ancêtres préhistoriques, remplacés dans leur pseudo-mémoire par les mythes sur les origines du monde, ignorant tout paradis.

M.L. : Ne trouvez-vous pas un peu simpliste de toujours vouloir opposer à une histoire de l’Humanité " marxiste " celle d’une Histoire des Hommes issue de ses propres perceptions émotionnelles ?

P.A. : Je pense que ce qui est en cause , dans l’actuelle " fascination des origines " de l’homme, c’est le caractère presque mythique attribué à ces origines, " la révolution néolithique " revêtant le caractère d’une sorte de moment créateur de l’humanité, enfin dégagée de l’animalité des prédateurs paléolithiques. Cette " révolution " est présentée comme s’étant prolongée jusqu’à l’entrée dans l’Histoire, au cours d’une suite de périodes conçues sur le modèle de sociétés principalement africaines d’avant colonisation. L’actuelle ethno-archéologie ouvre certes des pistes intéressantes, mais elle repose foncièrement sur un comparatif abusif, en ignorant les développements ultérieurs, qui n’ont rien de comparable en Afrique ou ailleurs, si ce n’est en Amérique pré-colombienne. Les civilisations de Sumer et d’Egypte, dans leur essor et leur développement, n’ont pas d’équivalent réel. Je pense qu’il importe de préférer au comparatisme réducteur le recours direct aux sources absolument uniques dans leur diversité, de l’antiquité orientale.

M.L. : J’en terminerai avec ces deux dernières questions : Pourquoi le judaïsme et le christianisme ont-ils supplanté les religions du Moyen-Orient ?

Quel devenir ou quel avenir peut-on imaginer pour une civilisation qui n’a plus de repères religieux ?

P.A. : Cette question impose une méditation sur l’Histoire. Il est difficile d’être bref. C’est au retour de l’Exil, au Vie siècle, que les Juifs se sont mis à organiser leurs traditions nationales en une Histoire sainte présentée comme une suite d’alliances, annoncées au lendemain de la "Chute, puis esquissée après le Déluge, puis assortie de la promesse sur la Terre désormais Sainte, à Abraham, solidaire enfin de la Loi de Moïse. Pour la première fois l’histoire humaine était conçue comme progressive. La tentation d’excellents historiens, voire de préhistoriens (J. CAUVIN) de nos jours est de considérer la Genèse comme une histoire effective de l’humanité depuis la Révolution néolithique, voire même depuis le Big-Bang. C’est peut-être séduisant ou même édifiant, mais je crois qu’il faut absolument renoncer à un tel concordisme . En revanche, il est permis de constater une sorte de coïncidence du progrès humain tel que l’a révélé l’archéologie orientale et elle seule, tandis que le reste du monde restait plus ou moins en dépendance ou dans l’ignorance de cette plus ancienne histoire vraie, postérieures largement aux temps préhistoriques.

Trois mutations majeures peuvent ainsi être observées : celle du Néolithique, celle de l’entrée dans l’Histoire avec les monarchies de type sumérien et pharaonique ; celle enfin de l’Antiquité classique, " humaniste ", philosophique, avec l’idéal de la rationalité des Grecs. Le monothéisme juif est contemporain ; il lui manquait l’analyse philosophique et un véritable universalisme, alors même que son Dieu était universel. Mais il restait peu compatible avec un nationalisme solidaire de l’Election et des promesses dans leur forme archaïque/

Les deux formes d’humanisme, grec et juif, se sont rencontrées dans le monde méditerranéen hellénisé, principalement à Alexandrie, grâce à son importante colonie juive. La traduction grecque de la Bible, dite des Septante, parfaitement juive, en toute fidélité, apparaît comme une étape absolument essentielle, à une époque de crise des deux traditions. D’une part, l’hellénisme d’après Alexandre, bientôt assumé par l’impérialisme romain, restait solidaire de la religion civique de la Polis grecque et de la civitas romaine, avec une pensée religieuse sclérosée, capable de concevoir la divinité unique, mais sans la personnaliser autrement que dans le Sol invictus de l’empereur. D’autre part, le nationalisme juif ne pouvait tolérer la tutelle romaine, souple, cependant, sur le Temple et la Loi gérée par le clergé. Tout en concevant confusément une résurrection des morts à propos des soldats tués au combat, le Judaïsme interprétait ses traditions en un messianisme politique qui s’exprimait dans un bouillonnement très riche de tendances parfois sectaires et promptes à dériver en révoltes.

La rencontre avec l’hellénisme interféra avec un prosélytisme conquérant dont l’importance a été occultée par les développements ultérieurs. Ce prosélytisme affecta profondément la mentalité religieuse dans l’empire romain et au-delà en Orient, contribuant à généraliser l’attente d’un Salut très diversement conçu d’ailleurs, dans les " religions à mystères ".

Seul le Christ souffrant et ressuscité, radicalement différent d’un Messie national et dont la résurrection différait absolument de l’immortalité de l’âme admise par tous, devait répondre à une attente aussi diverse et généralisée. Seul il fut capable d’inaugurer une interprétation prophétique des Ecritures, immédiatement reprise par la tradition apostolique. La catastrophe de 70 allait précipiter la rupture du Judaïsme en deux jumeaux ennemis : un nouveau Judaïsme issu du pharisianisme, organisé par les rabbins de Yamnia qui excommunièrent les Chrétiens ; et un Judéo-christianisme appelé à prendre sa personnalité spécifiquement chrétienne, du fait même de l’excommunication juive.

La persécution des Chrétiens fut double, jalonnée d’emblée par la Passion de Jésus, puis par le martyre d’Etienne, et quantité de péripéties de la carrière de Saint Paul. Ce fut cette première persécution, niée couramment de nos jours (dans le film " Corpus Christi " par exemple), qui suscita celle des autorités romaines, initialement peu motivées. La persécution juive reste un fait d’importance majeure, qui s’est prolongée en une rivalité qui s’exprime très tôt dans le rejet de la tradition grecque des Septante, au profit d’un littéralisme hébreux réducteur d’une d’une diversité révélée, entre autres, par les documents de Qumrân. La persécution romaine (alors que les Juifs étaient tolérés) fut certes éparse dans l’espace et dans le temps. Elle n’en dut pas moins violente au IIIe siècle, tout particulièrement sous Dioclétien. Curieusement, elle est souvent tenue comme négligeable de nos jours, comme si son rappel était une incongruité. Or dans la mémoire chrétienne, elle a toujours été solidaire de la Passion du Christ, et assumée grâce à l’espérance en la Résurrection dans le Christ, très différente de la résurrection telle que a conçoive les Juifs et les Musulmans. Il est grave que bien des chrétiens de notre temps semblent avoir oublié cette espérance et ne sachent que faire acte de " repentance " pour des crimes supposés de leurs aïeux, en oubliant qu’ils sont les porteurs du Christ, porteur d’une espérance dans le Christ dont l’incarnation a permis d’achever la révélation de l’Alliance désormais " Ancienne ".

La grande question des Chrétiens au XXIe siècle pourrait bien être de répondre en toute sérénité et charité au défi du Judaïsme présenté comme une révélation achevée. De bons esprits dénoncent de nos jours la tentation d’un nouveau Marcionisme, c’est à dire de rejet de l’Ancien Testament. Cette tentation semble liée à une lecture trop exclusivement littérale, juive, de la seule Bible hébraïque, comme si l’on renonçait à considérer les anciennes Ecritures comme une vaste prophétie annonçant le Christ, conformément, cependant, à une tradition très ferme, maintes fois affirmée (Luc4 : 21). Quoi qu’il en soit, c’est oublier la tentation inverse, celle d’un néo-Arianisme, faisant du Christ un Dieu mineur, acceptable par les Musulmans dont le prosélytisme est conquérant. Il risque de l’être bien davantage auprès de Chrétiens culpabilisés par un Judaïsme présenté comme le créancier à perpétuité non seulement des Chrétiens, mais du christianisme. En somme, un authentique " devoir de mémoire " s’imposerait, à des Chrétiens fiers de l’être : devoir de Foi en la révélation de la valeur prophétique de l’Ancien testament. Devoir de recherche d’érudition élargissant une enquête historique limitée au seul judaïsme. L’antichristianisme persécuteur a été un réalité dès l’antiquité ; il existe encore de nos jours. Il importerait de l’étudier sereinement.

M.L. : Pierre Amiet Je vous remercie pour ce long voyage à travers l’histoire des Hommes.