Interprétation des comptes de vendanges du XVIIe siècle de la seigneurie de la Ménolière à Saint Philibert de Bouaine (*) (**)

Par Michel Lopez

Résumé: Au hasard d'un achat, nous avons trouvé 8 comptes de vendanges de la fin du XVIIe siècle, l'examen attentif de ces pièces nous a permis de mettre en évidence un système comptable qui caractérise les droits seigneuriaux attachés à ces vendanges: droits au 1/5e et droit au 1/4.

Abstract: Quite accidentally, we found 8 accounts of grape harvest of the end of XVII th century; the attentive examination of these documents allowed us to highlight an accounts system which characterizes feudal rights attached to this grape harvest: rights to the 1/5e and rights to the 1/4.

La seigneurie de la Ménolière est située à la limite de la Loire-Atlantique et de la Vendée, sur la paroisse de Saint-Pilibert de Bouaine. Sous l’ancien régime, son statut " marcheton " lui confirme une certaine originalité fiscale puisque les aveux ou le paiement des rentes seigneuriales s’effectuent aussi bien à Vieillevigne, Machecoul, Clisson en Bretagne ou à Montaigu en Poitou. Les fiefs qui nous intéressent sont localisés sur la paroisse de Saint Philbert de Bouaine (appelée parfois Boué ou Bouin) et sur la paroisse de la Grolle. Hormis les huit comptes de vendanges, les archives que nous possédons datent principalement du XVIIIe siècle. La seigneurie de la Ménolière est une seigneurie de moyenne importance, qui s’afferme durant tout le XVIIIe siècle entre 4200 livres et 8340 L par an. Les revenus des vignes de la Ménolière représentent au milieu du XVIIIe siècle 14,3% des revenus de la seigneurie.

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Les comptes de vendanges du XVIIe siècle :

Ils se composent de 8 pièces de formats différents, allant du 1/4 de feuille à la page in folio. De manière générale ils sont dans un état moyen, conséquence de leur manipulation directe sur le terrain, lors de l'inventaire des vendanges.

Une analyse détaillée de ces documents nous apportent de nombreux renseignements, notamment sur les dates de vendanges sur deux années consécutives ainsi que sur les quantités de raisins récoltés. Sur un plan formel, on peut constater que les documents sont appairés c’est à dire que pour un fief donné et pour une année donnée, nous trouvons le même document pour l’année suivante. C’est ainsi que nous disposons de 4X2 documents pour les années 1679-80.

Nous reviendrons ces informations dans la seconde partie de cet article pour nous concentrer sur la mise en évidence des droits seigneuriaux révélés par ces comptes.

Exemple d'une vigne quartière (1/4):

figure 2

"le fief de Beaulieu a esté vandangé le 2eme octobre 1680 par les teneurs scavoir premier:"

Dans cet exemple, on voit très bien que les traits verticaux sont interrompus par un point séparateur avec un intervalle constant, soit tous les 4 traits, soit tous les 8. Dans le cas d'un séparateur au 4e trait, un trait vertical est coché dans sa partie supérieure, dans la cas d'un séparateur au 8e trait, 2 traits verticaux sont cochés dans leurs parties supérieures. Dans cet exemple nous pouvons en conclure que nous sommes en présence d'une vigne quartière, soit la 4e partie de la vigne ramassée, représentant la part du seigneur. Le nombre total de traits correspond au total des "basses" ramassées. Outre l'aspect comptable très intéressant de ces documents, ces différents comptes nous donnent des renseignements des plus précieux sur la date des vendanges ainsi que sur la quantité de la récolte.

Exemple d'une vigne tenue au 1/5e:

Le point séparateur des traits est ici remplacé par un 8 qui vient couper la ligne au 5e trait vertical. Dans le cas d'un séparateur au 5e trait, un trait vertical est coché dans sa partie supérieure. Dans ce second exemple nous pouvons en conclure que nous sommes en présence d'une vigne au cinquième, soit la 5e partie de la vigne ramassée, représentant la part du seigneur.

figure 3

Le point séparateur des traits est ici remplacé par un 8 qui vient couper la ligne au 5e trait vertical. Dans le cas d'un séparateur au 5e trait, un trait vertical est coché dans sa partie supérieure. Dans ce second exemple nous pouvons en conclure que nous sommes en présence d'une vigne au cinquième, soit la 5e partie de la vigne ramassée, représentant la part du seigneur.

 

 Tableau résumant les codages :

figure 4

 

Les vignes de 1679 à 1680 :

Outre ce système de comptage caractérisant les droits seigneuriaux, ces huit documents vont nous permettre de tirer un certain nombre de renseignements concernant l’exploitation des vignes.

nom du fief vendange nb de vignes vendange nb de vignes nom du fief rendement rendement

Année

1679

1680

1679

1680

Beaulieu

143

12

102

14

Beaulieu

11,92

7,29

Bironnières

402

31

265

30

Bironnières

12,97

8,83

Louis

98

15

71

13

Louis

6,53

5,46

Chiron

139

9

80

8

Chiron

15,44

10

total

782

67

518

65

Tableau 5

Les surfaces comparées:

Nous avons pris pour hypothèse qu’un "teneur" était égal à une 1 vigne et que la quantité de raisin ramassée était proportionnelle à la surface de la vigne.

A partir des données du tableau 5, nous avons tracé les graphiques correspondant pour 1679 et 1680, qui nous donnent les surfaces comparatives entre les fiefs. La comparaison de ces deux graphiques permet également de confirmer à 2 ou 3% près la vraisemblance de l’hypothèse que nous avons pris pour notre calcul.

figure 6

Le rendement des fiefs:

 

Nous avons établi le rapport récolte (vendange)/"teneur" (vigne) que l’on peut considérer égal au rendement des fiefs.

Cette approche permet d’évaluer la qualité des terres. Le fief Chiron se distingue très nettement, avec 18% de la surface totale, il offre un rendement de 15,44 alors que les Bironnières, avec 51% de la surface totale n’atteignent qu’un rendement de 13.

 

figure 7

Des vendanges catastrophiques pour 1680:

La comparaison des documents 1679/80 caractérise une année 1680 catastrophique pour la vigne.

La récolte globale chute de 66,2% par rapport à 1679. Les dates tardives de vendanges, jusqu’au 20 octobre pour le fief Chiron et Louis laissent à penser que des incidents épidémiologiques ou climatiques ( gelées tardives de printemps ou été humide ) sont à l’origine de ces mauvaises récoltes.

figure 8

L’exploitation de la vigne dans la seigneurie de la Ménolière:

En l’absence de textes détaillés concernant le XVIIe siècle, nous avons étudié les documents du XVIIIe siècle que nous possédons et dont certains confirment les droits seigneuriaux mis en évidence dans les documents de comptage. C’est ainsi que le bail du 28 mars 1770 fait mention que les vignes de la Ménolière sont des vignes à complant soumis au devoir du quart (vigne quartière) :"à complant au quart" et dont le revenu annuel est évalué à la date à 600 Livres.

Un aveu du fief des Roulières (Saint Philibert de Bouaine) souligne également l’existence d’une vigne à complant tenue au tiers : "item audit fief un canton que je tiens à complant des héritiers Louis Bossis au tiers contenant cent cinquante gaules".

Des documents fiscaux de la même période montrent que la seigneurie de la Ménolière ne répond plus à un faire valoir direct et que l’ensemble des terres de la seigneurie, y compris le domaine est affermé. Avec notamment le droit pour le fermier de faire de l’eau-de-vie à la condition exclusive qu’elle provienne du brûlage des vins de la Ménolière: "faire brûler les vins provenant de la ditte ferme et non d’autres" (bail du 25 mars 1786).

Terminologie et unités de surface liées à la vigne dans la seigneurie de la Ménolière:

Deux appellations principales caractérisent la vigne dans les textes du XVIIIe :

la planche et le quarteron ou canton ou carteron.

Ces deux expressions s’appliquent exclusivement à un terrain planté de vignes (dans les documents que nous avons consultés).

La planche tire son étymologie de la façon dont était cultivée la vigne c’est à dire de la division de la vigne en parties égales (des planches) sur lesquelles le vigneron travaillait la vigne; cette technique était encore employée en Pays de Retz à la fin du XIXe siècle. La pratique de la vigne en sillons lui sera peu à peu substituée.

Un relevé, sur 18 citations (XVIIIe siècle) mentionnant la planche, nous permet d’évaluer la surface moyenne d’une planche à environ 230 m2 avec des extrêmes passant de 136 m2 à 346 m2.

Dans l’exemple du 9 mars 1700: "12 planches contenant une demie charrie"; la surface de la planche vaut = 174m2.

Le quarteron, carteron, canton, tire son origine du devoir seigneurial attaché à la vigne ; il traduit la 1/4e partie de la récolte due au seigneur; ce devoir donne le toponyme très fréquent en Pays de Retz de terres quartières. Le quarteron ne paraît pas revêtir une notion de surface très précise, mais qualifie une terre viticole. exemples de surfaces rencontrées:

1 canton=45 gaules, 1 canton=34 gaules, 1 canton 293 gaules.

Les unités de surface :

Elles s’expriment, dans cette zone marchetonne, en charrie, en sillon ou en bregeon corde et gaule (**).

La charrie paraît correspondre au travail d’un homme avec son attelage pendant une journée.

Elle équivaut en zone de Marches à 300 gaules, la gaule valant elle-même 13 m2 soit une charrie = 3900m2; à Vieillevigne, très proche de Saint Philibert de Bouaine, et ville à laquelle sont rendus certains aveux, la charrie équivaut à 4187 m2; c’est la valeur que nous avons retenue pour les calculs de surface ci-dessous.

La charrie est principalement employée pour traduire une surface globale; c’est ainsi que les surfaces de trois métairies sont évaluées respectivement à:

Dans le bail du 28 mars 1770, la charrie est évaluée de 5 à 6 livres.

Le sillon est équivalent à une surface de 18 gaules, la gaule de Vieillevigne valant 14 m2 soit une surface de 252m2 mais il peut être aussi dans certain cas équivalent à un rang de vigne.

Le bregeon est équivalent au sillon mais il peut être aussi dans certain cas équivalent à un rang de vigne.

La corde est évaluée à 95 m2

La gaule est équivalente à 13 m2.

Une parcellisation des vignes

On peut retenir de cet aperçu très général que les "teneurs" n’exploitent que de petites parcelles de vignes; si l’on reprend notre échantillonnage de 18 "teneurs" que nous avons utilisé précédemment pour le calcul moyen d’une planche, on constate que la surface moyenne des parcelles est de 778 m2 avec des extrêmes allant de 156 m2 à 2028 m2 soit un peu plus de 3 planches par vigneron.

Cette parcellisation extrême du terrain est à mettre en corrélation avec les documents de comptages que nous avons analysés ci-dessus et qui laissaient apparaître des "teneurs" ne récoltant que très peu de raisin.

Une analyse plus détaillée de ces différents documents du XVIIIe permettrait d’affiner ce constat.

L'interprétation de ces documents nous a donc permis de dégager deux caractéristiques très intéressantes concernant la vigne, la première étant la mise en évidence des droits seigneuriaux liés à la vigne à travers un système comptable inédit, la seconde de dégager les traits essentiels dans la gestion des vignes avec notamment la caractérisation d’une parcellisation des terres viticoles.

 (*) Saint Philibert de Bouaine, commune du département de la Vendée, arrondissement de la

Roche-sur-Yon, canton de Rocheservière.

(**) étude effectuée à partir d’archives privées (collection M. Lopez)

(***) Demolon – manuel de l’arpenteur

Cet article a fait l'objet d'une communication orale à l'Assemblée Générale des Historiens du Pays de Retz - août; 1998 en l'abbatiale carolingienne de Saint-Philbert de Grand Lieu (Loire-Atlantique- France) - M. LOPEZ.

Il est également disponible sur Internet à l'adresse suivante: http://www.histoire.org/scripmani

ou http://www.chez.com/scriptmania

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