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ALLIANCE DES HOMMES, ALLIANCE DES DIEUX DANS

L'ICONOGRAPHIE ORIENTALE

Ils sont debout symétriquement, de part et d'autre d'une table en forme de colonnette, sur laquelle est placée une cruchette. Par sa stylisation comme par son iconographie, ce sceau-cylindre peut être attribué à la seconde moitié du XVIIIe siècle, sans doute avant la phase finale illustrée par la série de Tell Atchana VII 14. Ailleurs, les deux personnages semblablement vêtus tiennent ensemble une pique, donc apparemment pour une alliance militaire 15 analogue à celles qu'illustrent des scènes d'exécution d'un ennemi vaincu 16. Plus souvent, les deux alliés se saluent symétriquement 17, comme sur la stèle de Ras Shamra. L'un d'eux seulement peut tendre la main vers l'autre 18, parfois de part et d'autre du support du disque solaire ailé 19 qui n'est certainement pas l'objet de leur hommage. Leur identité royale, ou au moins princière, impliquée par leur tenue caractéristique 20 ne semble pas faire de doute et doit en tout cas être préférée à une identité divine, supposée autrefois et qui explique sans doute que ce thème n'ait pas été reconnu pour ce qu'il était. La parfaite symétrie des deux contractants pourrait suggérer parfois le dédoublement d'une même figure par simple souci d'équilibre, comme sur le relief auquel était adossé le trône royal assyrien à Nimrud 21. Une telle hypothèse ne peut être retenue, d'abord parce que les deux personnages ne sont pas toujours symétriques, ensuite et surtout parce que leur tenue peut différer. Nous savons en effet que les Syriens ont adopté tout ou partie de l'attirail royal babylonien 22, de sorte que parfois 23, 1'un des deux personnages porte le bonnet de tradition néo-sumérienne et l'autre, la tiare ovoide syrienne.

De façon plus décisive, un sceau unique 24 (fig 3) représente les deux rois syriens s'embrassant aussi affectueusement que des époux 25.

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La cérémonie apparaît enfin le plus souvent comme "profane", puisqu'elle n'est associce à aucune divinité. Cependant, la "déesse nue" peut figurer entre les deux contractants 26, aussi bien que le héros nu associé aux flots jaillissants 27 Comme ce dernier n'est pas un dieu, il pourrait être là, comme la déesse nue quand elle est toute petite, à titre de figure apotropaïque. En revanche, une déesse ailée ou la déesse nue sous son habitacle 28 peut être honorée sans conteste par les deux of ficiants qui paraissent donc faire sanctionner leur alliance par cet acte de culte qui semble cependant exceptionnel, donc facultatif.

Il en va autrement dans le monde iranien dont la seule composante historique a pratiquement été le royaume double d'Elam 29 englobant au moins, pour exister, le bas-pays susien et le haut pays, avec ses vallées adjacentes dans les monts Zagros. Au-delà à l'est, dans la province actuelle de Kerman, une civilisation apparentée que nous définissons comme trans-élamite a pris essor au IIIe millénaire, pour s'éteindre vers le XVIIe siècle. Cette civilisation a subi la nette influence mésopotamienne à partir de l'époque de l'empire d'Agadé, comme l'atteste le mieux l'iconographie des sceaux-cylindres 30. L'un des plus remarquables (fig. 4) 31 ayant appartenu à la Collection Foroughi, porte une scène complexe dont il importe de rétablir l'organisation significative de sa cohérence.

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En dehors peut-être de l'image d'Etana emporté au ciel par un aigle, les principales figures ne sont pas réparties au hasard, mais en deux groupes, face à face. La plus importante, assise sur un siège, est une déesse au buste nu, coiffée d'une tête de taureau remplaçant les cornes ou la tiare, facultatives dans cette iconographie 32, Elle est désignée comme chtonienne par les serpents qui sortent de ses épaules, et elle s'apparente ainsi aux dieux nco-sumériens tels que Ningishzidda et Tishpak 33. Un orant est agenouillé devant elle. Un autre, au dessus, lui tourne le dos et honore de même une femme, vraisemblablement une déesse, eu égard à cette forme de culte, qui siège en face d'elle. Cette seconde déesse est installée sous l'arcade dont est pourvu un meuble comparable à la chaise à porteurs représentée sur un sceau susien de l'époque d'Uruk 34. Cette voyageuse honorée comme une déesse a le buste nu comme celui de celle qui l'accueille, mais sa tête est oblitérée, ce qui empêche de savoir si elle portait une tiare. Le culte dont elle est l'objet permet d'admettre qu'il s'agit aussi d'une déesse. Elle est arrêtée entre les deux moitiés d'un taureau coupé en deux, l'arrière-train étant au dessus et l'avant-train au dessous. Cela implique qu'il a été sacrifié rituellement au préalable. Cette image est unique, mais elle correspond parfaitement à un rite archaïque d'alliance 35, attesté à Mari à l'époque de Zimrilim, puis à Alalakh, mais surtout dans la Bible, à propos de YaLvé et de celui qui s'appelle encore Abram (Genèse XV-17). Plus clairement d'après Jérémie XXXIV-18, on apprend que le contractant passant entre les morceaux de la victime ainsi partagée acceptait son sort s'il était infidèle à son engagement. C'est donc aussi pour passer symboliquement entre les deux moitiés du taureau sacrifié que la seconde déesse a été représentée comme placée dans l'équivalent d'une chaise à porteurs, lors d'une cérémonie d'alliance apparemment religieuse puisque divine, qu'il s'agit d'interpréter.

L'iconographie mésopotamienne dont se sont inspirés librement les artistes trans-élamites illustre une mythologie groupant des divinités qui personnifient les composantes du cosmos. Leurs actions coordonnces dans des mythes symbolisaient l'équilibre naturel assuré lors de rencontres alternativement pacifiques et guerrières, lors des combats mythologiques 36 Les montagnards transélamites, au contraire, ont illustré une mythologie bien moins élaborce, dont les acteurs divins beaucoup moins nombreux et diversifiés ne semblent pas avoir pu symboliser des actions aussi complexes. En effet, on n'y observe guère que des divinités féminines, donc aucun couple divin. Et cela semble exclure toute cérémonie du type du mariage sacré, tout comme le thème des deux générations comprenant des dieux âgés et inactifs accueillant des dieux juvéniles et actifs. On n'observe guère que trois types de divinités, toutes féminines: chtoniennes, associées à des rameaux ou à des serpents; astrales ou célestes, d'après leurs ailes, et maîtresses des flots jaillissant de leur buste 37. Le panthéon ainsi réduit pourrait~etre apparenté à celui de l'Elam au IIe millénaire, dominé semble-t-il par les dieux patrons de ses grandes composantes territoriales et partant ethniques, tels que Napirisha d'Anshan et Inshushinak de Susiane, ce dernier seul intégré au panthéon mésopotamien. La cohésion de cet ensemble historique était précaire et devait être assurée par l'alliance des dieux-patrons territoriaux, dont certains pourraient avoir été substitués aux déesses du IIIe millénaire ou trans-élamites. C'est dans cet esprit que dut être conçue l'édification du Siyan-kuk d'Untash-Napirisha à Tchogha Zanbil au XIVe siècle, et que Huteludush-Inshushinak, au XIIe siècle, construisit à Anzan un "Temple de l'Alliance", Tarin 38 où étaient honorées quatre divinités majeures de son empire menacé d'éclatement. Transposant ces données constantes de l'histoire élamite dans le monde trans-élamite, nous suggérons que l'alliance des deux déesses illustrées sur le cylindre Foroughi (fig. 4) pourrait de même, dans une mythologie plus archaïque, avoir symbolisé l'alliance politique des groupes ethniques dont ces figures étaient les patronnes. En somme, la rencontre des deux déesses aurait eu la même signification que l'hommage rendu en commun aux deux dieux patrons des cités sumériennes, sur la plaque d'Ur-Enlil. C'est conformément à la même tradition que pourrait être interprété le décor du principal des rochers isolés dans le ravin de Kul-i Farah, près d'Izeh/Malamir, au cœur des monts Bakhtiari 39. Le style des figures permet de le dater d'une époque proche des grands rois élamites du XIIe siècle, ou de l'époque obscure qui suivit. Ce décor inachevé, ce qui explique en partie sa rudesse, se déploie sur les quatre faces du rocher, mais il doit être considéré globalement (fig. 5).

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Il représente deux potentats marchant chacun à la tête d'une foule nombreuse, répartie dans trois ou quatre registres. Ils ne sont pas indépendants: nous pensons qu'ils se rencontrent de part et d'autre d'une véritable hécatombe de gazelles et de bœufs à bosse, accomplie avec l'accompagnement musical de harpistes. Cette rencontre n'est pas un simple acte du culte de divinités non représentées; nous proposons de l'interpréter comme une alliance, sanctionnée par ce sacrifice et engageant à la fois les chefs et leurs peuples pour la première fois évoqués. Et ces gens sont apparemment des nomades, puisque cela se passe dans une gorge éloignée de tout habitat. Et c'est dans ce milieu nomade que les dieux pourraient n'avoir plus été conçus comme nécessairement anthropomorphes, en rupture avec la tradition en vigueur quelques siècles auparavan' encore en Elam, d'après le décor des lieux de culte en plein air de Kurangun et de Naqsh-i Rustam dans le Fars, au sud d'Izeh/Malamir. Et peut-être est-il permis de formuler une autre hypothèse. Dans ces conditions sociologiques, marquées par l'avènement de "nations" pour la première fois évoquces dans l'art, cette alliance pourrait présenter des affinités avec celle qui aurait eu lieu à Sichem 40 à une époque voisine (Jos. XXIV), entre d'autres groupes nomades venus d'horizons différents, et soucieux d'établir ou de renouveler leur union, sous le patronage de leur Dieu sans image.

 

14 D. COLLON, 1975, The Seul Impressions from Tell Atchana/Alulakh, Neukirchen-Vluyn, p. 139s.

15 E. PORADA, Morgan, 951; 923.

16 J MENANT, Collection De Clercq, n° 395. L. SPELEERS, 1943, Cinquantenaire. Supplément, p. 143, n° 1484.

17 E. PORADA, Morgan, n° 953; 955; 924.

18 E. PORADA, Morgan, n° 952.

19 E. PORADA, Morgan, n° 955. A. MOORTGAT, 1940, VARS, n° 535.

20 D. COLLON, 1975, The Seul Impressions from Tell Atchana/AlulaLh, Neukirchen-Vluyn, p. 186: "The Male figure in a high oval head-dress".

21 W ORTHMANN, 1975, DerAlte Orient. PropylaenKunstgeschichte 14,Berlin,Pl. 198.

22 D. COLLON, 1975, The Senl Impressions from Tell Atchana/Alalakh, Neukirchen-Vluyn, p. 139 et Pl. XXXII, n° 76.

23 H.H. VON DER OSTEN, 1957, Altorientalische Siegelsteine der Sammlung Hans Silvius von Aulock, Uppsala, n° 295.

24 J MÉNANT, Collection De Clercq, n° 390 ter. HICHAM EL-SAFADI, 1974, Die Entstehung der syrischen Glyptik und ihre Entwicklung in der Zeit von Zimlilim bis Ammitaqumma, Ugarit-Forschungen 6, Taf. X, n° 76.

25 E. PORADA, Morgan, n° 996. L. DELAPORTE, 1923, CCO II, Pl. 97: A.934.

26 E. PORADA, Morgan, n° 989. L. DELAPORTE, 1923, CCO II: A. 928.

27 G.A. EISEN, 1940, Ancient Oriental and other Seals with a Description of Mrs William H. Moore, Chicago, OIP 30,

n° 139.

28 L. SPELEERS, 1943, Cinquantenaire, Supplément, n° 146-147, n° 1453; 1384.

29 p AMIET, 1992, Sur l'histoire élamite, Iranica Antiqua XXVII, p. 75s.

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