Archives inédites (*) privées concernant le chevalier dEon
Rappel biographique sommaire :
Eon de Beaumont, Charles-Geneviève-Louise-Auguste-André-Timothée, est né à Tonnerre dans lYonne en 1728 et mort à Londres le 21 mai 1810 (son autopsie aura lieu deux jours plus tard). Brillant diplomate, écrivain, capitaine de Dragon, la carrière éclectique du chevalier dEon colle au plus près de lhistoire de France sur une très longue période qui séchelonne du règne de Louis XV à Napoléon 1er . Rarement personnage naura marqué autant son époque et rarement personnage naura suscité une telle passion.
Les documents que nous avons eu a étudier se présentent sous la forme de 6 textes :
(1) - Lettre du 19 août 1825 - Paris - de M. Auguste Lemaire, comme mandataire des héritières du chevalier dEon, mesdemoiselles Jacquillat de Vaulavré, adressée au ministre des affaires étrangères pour obtenir un acte de décès de mademoiselle la chevalière Déon (sic).
(2) - Brouillon dune lettre datée du 25 août 1825 - Paris - du ministre des affaires étrangères, le baron de Damas, adressée au baron Ségnier, consul de France à Londres - demandant aux autorités compétentes de faire le nécessaire pour établir un certificat de décès du chevalier dEon. Ecriture difficile.
(3) - Lettre du 12 octobre 1825 - consulat général en Angleterre - Londres - rédigée par le Baron Ségnier à lattention du ministre des affaires étrangères - évoquant les raisons de son retard quant à sa réponse - et concluant par une anecdote savoureuse concernant le chevalier dEon.
(4) - Lettre du 21 octobre 1825 - consulat général en Angleterre - Londres - rédigée par le baron Ségnier à lattention du ministre des affaires étrangères - présentant les différents documents quil a fait établir pour prouver le sexe du chevalier dEon.
(5) - Attestation justificative du sexe du chevalier dEon (attention 4 images environ 400K)
(6) - Brouillon dune lettre datée du 29 novembre 1825 - Paris - du ministre des affaires étrangères ( ?) adressée à M. Lemaire ( ?) mandataires de mesdemoiselles Jaquillac de Vaulavré - dressant le bilan des interventions.
La transcription de ces différents documents permet de mieux comprendre les différentes phases qui ont suivi le décès du chevalier dEon.
Cest tout dabord la promulgation de la Loi du 29 avril 1825 sur les Emigrés, cest à dire 15 ans après le décès du chevalier dEon qui est à lorigine de ces différents documents. Cette loi va permettre aux demoiselles Jaquillac de Vaulavré de faire valoir leurs droits en tant quhéritières du chevalier dEon et ainsi enclencher un processus administratif très riche en renseignements sur lidentité véritable du fameux personnage.
Ces démarches sont à mettre à lactif dAuguste Lemaire, mandataire des Demoiselles Jaquillac de Vaulavré, demeurant à Belle-Ile en Mer (1). La procédure se passe au plus haut niveau. Son interlocuteur sera le baron de Damas, ministre des affaires étrangères, qui intervient personnellement (moins dune semaine après la lettre de M. Lemaire) auprès de son consul à Londres, le baron Ségnier, afin quil solutionne rapidement la demande des héritiers (2).
Des lettres manquent très certainement, car les excuses du baron Ségnier à légard de son ministre de tutelle semblent indiquer que ce dernier a été attentif au dossier et quil y a eu relance.
La lettre du 12 octobre 1825 (3) permet au consul de temporiser en envoyant un premier bilan de ses investigations et en livrant une anecdote savoureuse au baron de Damas. La lettre dans son descriptif des témoins présents comporte des omissions. Le baron Ségnier avance 9 témoins présents à lautopsie du corps. Nous verrons dans la lettre qui suit, que ce chiffre est tout à fait approximatif puisquen réalité 20 personnes vont assister à lopération. On peut considérer cette lettre comme une lettre de temporisation.
La lettre du 21 octobre (4) est la pièce maîtresse de ces documents, car elle inclut la fameuse attestation justificative du sexe du chevalier dEon et ses témoignages. Cette lettre nous apprend également que les pièces originales touchant à lautopsie du chevalier dEon se trouvent chez son exécuteur testamentaire M. Adair. Cest à partir de ces documents originaux que le baron Ségnier emportent au consulat quil fait procéder, par son vice-consul Nettement, à leur retranscription. Ses appréciations sont autant dindications sur lauthenticité quil convient de donner à ces pièces : " La pièce est originale et la déclaration entièrement de la main du docteur Copeland qui a fait la dissection ". Et pour souligner toute limportance que revêt la démarche, le consul précise quil a fait consigner un double de ces copies sur les registres de la chancellerie afin den assurer la pérennité.
Venons-en à lattestation
Ce document se décompose en deux parties :
La reconnaissance du sexe :
Elle est faite le 23 mai 1810, à lhôpital Framdling, 26 New Millman street (cf. déclaration de Bowning).
La première partie du texte caractérise le certificat officiel constatant le sexe du chevalier dEon, outre M.M. Adair, Wilson et le père Elysée qui assistent Th. Copeland dans sa dissection du corps, onze témoins sont aussi dans la salle et assistent à lautopsie : Sir Sidney Smith, the honorable W. H. Littleton, M. Douglas, The earl of Yarmouth, M. Hoskins, sollicitor, M. J. M. Richardson, M. King, surgeon, M. Burton (alias Bertin), surgeon, M. Joseph Berger-Patney , Joseph Bramble, Jacob Delauney. Ces onze témoins sont là pour affirmer lauthenticité du certificat.
La reconnaissance de la personne :
Après avoir constaté le sexe, cinq autres témoins, également présents, vont certifier que la personne quils ont devant eux est bien le chevalier dEon et quils lont connu à un moment ou à un autre; il sagit de M.M. Degères, de Daustanville, Behagne, Bowning et la femme de ce dernier. On peut noter que cette reconnaissance sinscrit dans le temps, avec la déclaration du comte de Béhagne qui affirme avoir connu Eon en 1757 et Bowning le logeur qui a connu Eon il y a trois ans cest à dire en 1807. On peut noter que sont vingt personnes, qui officiellement ont participé à lindentification du chevalier dEon.
Les trois textes en Anglais, vont faire lobjet dune traduction par le vice-consul, afin déviter toute erreur dinterprétation.
Enfin, une dernière lettre adressée par le ministre, selon toute vraisemblance à Aug. Lemaire, mandataire des héritières du chevalier dEon, dresse le bilan des interventions.
Sur le fonds, ces documents appellent quelques remarques :
Cest à la demande des autorités Anglaises que lautopsie du corps du chevalier dEon a été effectuée; la question qui demeure est de savoir pourquoi ? Est-ce la conséquence dune interaction politico-amoureuse que lon a bien voulu prêter au chevalier dEon avec Sophie-Charlotte de Mecklembourg ? Sont-ce les paris insensés qui étaient pris dans toute lAngleterre quant à son véritable sexe ? Voilà encore de quoi alimenter bien des hypothèses.
Tout juste pouvons-nous constater à travers une lettre que le ministre de lintérieur faisait suivre quotidiennement le chevalier dEon : " Le ministre Anglais curieux de reconnaître quel étoit réellement son sexe, le faisoit suivre et surveiller dans ses moindres actions "(3).
Cette attention particulière montre que le chevalier dEon représentait un enjeu national, lequel ?
La qualité des témoins, leur nombre, montrent que cest au plus haut niveau que lon se préoccupe du problème.
Côté Français, cest également au plus haut niveau que les interventions se font, et cest avec diligence que le ministre intervient auprès de son consul à Londres. Ce qui peut également frapper le lecteur, cest lobsession constante des autorités Françaises à bien affirmer le sexe du chevalier dEon. A la simple demande dun extrait mortuaire de M. Lemaire, le ministre ajoute à lattention de son consul : " il serait nécessaire (texte raturé) dobtenir également un papier certifié du procès-verbal que je vous ferais remettre avec dautres documents dûment légalisés ainsi que [lextrait] nécessaire "(2).
Et le consul y va de son couplet en déclarant : " Comme cette déclaration a de limportance sous différents point de vue, je lai enregistrée in extensum dans les livres de la chancellerie, de manière quon pourra en tout tems y venir vérifier le fait dans le cas où loriginal viendrait à se perdre "(4).
Force est de constater que le pouvoir politique est très attentif à ces démarches administratives et quil semble très soucieux de faire établir des actes qui ne souffrent aucune contestation, cest la lettre du ministre à Lemaire( ?) : " Comme il mavait paru que la production de cette pièce ne suffirait probablement pas pour lever les difficultés que le mystère qui a accompagné lexistence du chevalier dEon, susciterait notamment aux héritiers lors de la liquidation de leurs réclamations, jai cru devoir faire accompagner lexpédition de son acte de décès, dune copie du procès-verbal dressée lors de sa mort et duquel il résulte que la personne qui avait été connue sous le nom de chevalier dEon, était de sexe masculin "(6).
Si les documents que nous avons examinés apportent un éclairage nouveau sur un personnage hors du commun, de nombreuses interrogations subsistent et le débat sur le chevalier dEon est loin dêtre clos.
Michel Lopez
(*) André Castelot, dans un article dHistoria intitulé, DEon, chevalier ou chevalière, quon ma communiqué, malheureusement sans référence, donne un extrait de lattestation justificative du sexe du chevalier dEon dans sa version Française qui diffère légèrement de notre version :
texte Historia : Attestation Justificatives du sexe du chevalier dEon
copie dun certificat et de diverses déclarations à lappui déposés en originaux chez M. Adair, demeurant à Londres, Charlotte Street Blooms-Bury, N°12.
" Je certifie par le présent que jai examiné et disséqué le corps du chevalier dEon, en présence de M. Adair, de M. Wilson, du Père Elysée, et que jai trouvé les organes mâles de la génération parfaitement formés sous tous les rapports.
William Street, le 23 mai 1810. (signé) Tho. Copeland, chirurgien.
Notre version : (traduction du consul) " Je soussigné certifie que jai inspecté et disséqué le corps du chevalier DEon en présence de M. Adair, de M. Wilson, du père Elysée, et que jai trouvé les organes mâles de la génération parfaitement conformés sous tous les rapports.
(signé)Th.Copeland. "
Ce constat permet de penser que plusieurs copies ont été faites du document, ou quune traduction directe du texte Anglais a été faite, sans tenir compte de la traduction du consul.
On peut aussi noter que la liste des témoins évoqués dans Historia présente quelques minimes erreurs : M. Hoskins est transformé en Stoskins, M. Delauney en Delannoy , M. Douglas en Douglass.