NOTICE

SUR LES PREMIERS ÉTABLISSEMENTS,

 

Les progrès et l’état actuel

 

DU CATHOLICISME AUX ETATS-UNIS.

part II - Indians

 

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L'Indien comme le Nègre vit en dehors de la civilisation américaine; mais avec cette différence que le noir en est exclu comme indigne par la société de ses maîtres, tandis que le sauvage la dédaigne et la fuit comme une déchéance et une servitude. Le premier, quoique étranger et esclave, multiplie dans une étonnante progression au sein de son abjecte misère; le second, indigène et libre, marche à une rapide extinction dans sa fière indépendance. Au sud des Etats-Unis, on craint que ce ne soit une lutte à mort qui se prépare en silence entre les deux castes; au Nord Ouest, c'est probablement une lutte qui va finir par la disparition prochaine de tout un peuple. Les Indiens eux-mêmes ont le pressentiment de ce douloureux avenir. Une de leurs tribus l'exprimait ainsi, en 1829, dans sa pétition au Congrès: Nous voici les derniers de notre race, nous faut-il donc aussi mourir !

(" On peut prévoir déjà le moment où la race indienne disparaîtra de ces contrées. Mais en admettant ce que nous ignorons, que les, desseins impénétrables de la Providence aient décrété cette extinction totale, elle ne sera pas consommée avant un siècle. D'ici là il y a plusieurs générations à faire jouir en paix des bienfaits de la vie chrétienne; il y a des millions d'enfants à envoyer au ciel par la grâce du Saint Baptême. En faut-il davantage pour soutenir la ferveur des Missionnaires et pour leur créer de nombreux imitateurs? . ")

Un mot sur les causes de ce dépérissement graduel, sur l'intervention des Missionnaires dans les migrations forcées de l'indien, et sur les derniers efforts tentés par la Religion pour conserver à ce peuple primitif une vie qui lui échappe. Quelques familles d'indiens, égarées au milieu de la civilisation américaine, végètent encore au midi sur le territoire que peuplaient leurs aieux. Ces descendants attardés de vingt tribus éteintes sont tout ce qui reste des Chactas, des Creecks, des Lanapes, des Cherokis et des Natchez. " Autrefois, dit un Missionnaire qui les a visités, vous eussiez rencontré leurs tentes partout où abondait l'ours, où paissait le chevreuil, et où coulait une fontaine. Aujourd'hui que de longues guerres ont décimé leurs guerriers, on les a relégués dans les extrémités de l'Etat : que dis-je. Il n'y a que peu de jours qu'on les a forcés de céder ces retraites, pour leur donner en échange des solitudes plus profondes, d'où la cupidité les chassera encore... Je l'ai vu ce fier sauvage marcher au milieu des blancs la tête haute; son port était majestueux; il semblait. leur dire : " Nous vous avons accordé l'hospitalité, et voilà que vous voulez nous chasser de cette tente, sous laquelle nous vous avons reçus. Ce sont nos terres que vous convoitez; peuplez d'abord les déserts que nous vous avons abandonnés, et, avant que vos générations les couvrent, notre race sera éteinte. En effet, elle ne vit presque plus que dans le souvenir des hommes; il faut faire plus de cent lieues dans l'intérieur du continent pour rencontrer un Indien. C'est aux frontières de l'ouest et à l'entrée du désert qui s'étend au pied des Montagnes-Rocheuses, qu'on doit maintenant le chercher : outre la pression des Blancs qui l'y pousse à mesure que l'émigration demande de nouvelles terres, il est forcé de s'y enfoncer à la suite des bisons, qui sont le pain de chaque jour pour ce peuple chasseur.

" A l'instant où les bruits continus de l'industrie européenne se font entendre en quelque endroit, dit un auteur contemporain, le gibier commence à fuir et à se retirer vers l'ouest, où son instinct lui apprend qu'il rencontrera des déserts encore sans bornes. On m'a assuré que cet effet de l'approche des Blancs se faisait souvent sentir à deux cents  lieues de leur frontière. Leur influence s'exerce ainsi sur des tribus dont ils savent à peine le nom, et qui souffrent les maux de l'usurpation longtemps avant d'en connaître les auteurs. Les Indiens, qui avaient vécu jusque-là dans une sorte d'abondance, trouvent difficilement à subsister. En faisant fuir leur gibier, c'est comme Si on frappait de stérilité les champs de nos cultivateurs. On rencontre alors ces infortunés rôdant comme des loups affamés au milieu de leurs bois déserts. L'amour instinctif de la patrie les attache au sol qui les a vus naître, et ils n'y trouvent plus que la misère et la mort. Ils se décident enfin; ils partent, et suivant de loin dans sa fuite l'élan, le buffle et le castor, ils laissent à ces animaux sauvages le soin de leur choisir une nouvelle patrie... La contrée où ils vont fixer leur séjour est déjà occupée par des peuplades qui ne voient qu'avec jalousie les nouveaux arrivants. Derrière eux est la faim, devant eux la guerre, la misère partout. Afin d'échapper à tant d'ennemis ils se divisent. Chacun d'eux cherche à s'isoler pour trouver furtivement les moyens de soutenir son existence, et vit dans l'immensité des déserts comme le proscrit dans le sein des sociétés civilisées. Le lien social depuis longtemps affaibli se brise alors. Il n'y avait déjà plus pour eux de patrie, bientôt il n'y aura plus de peuple; à peine s'il restera des familles: le nom commun se perd, la langue s'oublie, les traces de l'origine disparaissent. La nation a cessé d'exister... J'ai vu de mes propres yeux plusieurs des misères que je viens de décrire; j'ai contemplé des maux qu'il me serait impossible de retracer. "

Ce que l'écrivain moderne se refuse à exprimer, des vieillards indiens l'avaient depuis longtemps entrevu et prédit en plaintes prophétiques, qui furent alors attribuées aux exagérations du désespoir, mais qui ne sont plus aujourd'hui que l'histoire fidèle du passé, la peinture du présent, la prévision de la destinée probable de la race aborigène. Au commencement de ce siècle, lorsque les Américains passèrent sur la rive occidentale du Mississippi, et imprimèrent aux tribus qui l'occupaient un mouvement de retraite qui ne devait plus avoir de terme, un vieux guerrier des Osages tint ce discours aux agents du gouvernement fédéral. Malgré sa longueur, on nous pardonnera de le transcrire, comme le chant funèbre du sauvage vaincu en voyant les apprêts de son sacrifice.

" Le grand fleuve, le père des eaux, nous séparait de vous pourquoi venez-vous nous chercher et vous établir sur notre rivage? La terre du matin ne vous suffisait-elle pas? Elle a, comme la nôtre, des eaux, des montagnes, des forêts; elle vous offre, comme à nous, ses fruits, ses animaux, ses ombrages. J'en ai parcouru les contrées, dans la fleur de ma jeunesse, et le tomahac à la main, quand j'allais enlever les chevelures de mes ennemis pour parer ma hutte sauvage. Les plaines où je triomphais m'ont paru belles leur état a-t-il changé ? Sont-elles devenues stériles ? Ne reçoivent-elles plus l'eau des nuages et les rayons du jour? les rivières où flottait la pirogue ont-elles suspendu leur cours? Ces régions sont vastes : vous ne les remplissez pas encore; et si elles vous suffisent, pourquoi changer de demeures? Vous avancez, et tout ce qui avait reçu la vie tombe ou disparaît l'incendie s'étend devant vous; il éloigne ceux que vous ne pouviez atteindre, et vous vous emparez du désert que vous avez fait.

J'ai prévu le sort qui attend tous les hommes rouges, quand du haut de nos montagnes j'ai vu la terre que vous envahissez se dépouiller de ces belles forêts qui avaient été notre séjour, quand j'ai vu ces immenses troupeaux de buffalos, de cerfs, d'autres animaux sauvages, s'éclaircir dans les plaines, et gagner précipitamment les savanes, les prairies de l'ouest : ils étaient notre cortège; ils nous suivent pour s'affaiblir encore, et pour s'anéantir un jour au fond de nos solitudes.

Nos pères nous ont appris que d'autres régions s'étendaient au-delà de ces montagnes; mais Si nous franchissons cette barrière, les peuples que nous rencontrerons voudront-ils nous recevoir? La terre qu'ils habitent ne leur a-t-elle pas été donnée par le Grand-Esprit, pour qu'ils puissent en parcourir paisiblement les forêts? Sans doute vous nous y poursuivrez encore; et les débris de nos nations, refoulées les unes sur les autres, ne laisseront plus dans les vastes contrées qui leur avaient appartenu que les monuments de leur passage et de leur destruction. Qui sait même s'il en restera quelque trace sur la terre? On dit que les grandes eaux l'enveloppent comme d'une ceinture Si vous nous repoussez sans cesse vers leurs rivages, il viendra un temps où nos dernières générations, ne pouvant plus s'éloigner davantage, et ne voulant pas plier sous la servitude, contempleront ce gouffre immense comme un dernier asile, et n'aspireront plus qu'à s'y ensevelir. "

L'Union américaine marche d'un pas rapide et continu à ce fatal dénouement. On a calculé qu'elle empiète chaque année de dix lieues sur le désert; il est donc facile de compter dès aujourd'hui le nombre d’étapes annuelles qui la séparent encore de l'Océan-Pacifique. Pour lui frayer la route et déblayer devant elle le terrain, elle a trois auxiliaires d'une irrésistible puissance : l'eau-de-vie qui consume les sauvages en les dépravant, les armes à feu qui leur servent à s’entre-tuer, et la famine qui dispense les Blancs de recourir à l'expulsion des anciens possesseurs pour s'instal1er dans leur héritage. C'est là tout ce que la politique humaine a réalisé jusqu'ici pour les Indiens .

(En 1844, un chef de, Ouinébégo s'exprimait ainsi dans une conférence avec le général Doge, commissaire du gouvernement : "  pour se dispenser d’être juste envers nous, on nous accuse d’être la nation la plus perverse qui soit sous le soleil. Je m'étonne que les blancs osent nous reprocher des vices qui sont leur ouvrage. - Pourquoi venez-vous non, tenter jusqu’à la porte de notre cabane avec votre eau de feu , si fatale à notre tribu ? S’il se commet des crimes parmi nous, c'est par suite de l'ivresse; et qui nous enivre ? qui ? des hommes avides qui nous vendent du poison au prix de nos dépouilles ! " - Lettre de M. l'abbé Crétin, 1845)

Il eût été trop long de les civiliser: on a trouvé plus simple et plus court de les déclarer insociables et de les traiter en conséquence. Qu'on juge de la grandeur du désastre par les débris qui restent encore debout. Il résulte d'un travail fait en 1836, qu'à l'est du Mississippi on compte 81,236 sauvages; 265,567 errent à l'ouest du même fleuve; 2,600,000 occupent les solitudes du Mexique et du Texas; plus de 1,400,000 sont répandus dans les colonies anglaises et russes, sans parler de la multitude de métis. C'est donc prés de 4,400,000 Indiens qui attendent dans la misère l’Evangile ou la mort.

Après une longue absence, l’Evangile a reparu de nos jours au milieu des anciennes peuplades, chez qui le souvenir des Robes-noires n'avait pas cessé d'être un culte filial et un regret traditionnel. Jusque-là les Missionnaires avaient été si absorbés par les soins à donner aux colons européens, qu'ils obtenaient difficilement l'honneur d'aller mourir au milieu des Sauvages. Les premières tribus qu'ils rencontrèrent, pliaient déjà leurs tentes pour s'acheminer vers l'exil. Ils eurent à consoler les douleurs, à soutenir la résignation, à sanctifier les épreuves de ces multitudes déportées. Toutes les migrations indiennes auxquelles le prêtre s'est mêlé pour en adoucir les rigueurs, présentent les mêmes scènes de désolation et de charité: il nous suffira donc d'en citer une seule, celle des Potowatomies, dont M. Petit fut l'ange consolateur.

C'était en 1837. Le gouvernement fédéral venait de fonder, à l'ouest de l'Arkansas et du Missouri, un district exclusivement indien, où seraient rassemblés les débris des nations indigènes épars sur l'immense territoire de l'Union. Une fraction des Potowatomies, presque toute chrétienne, avait sollicité pour elle une exception à la mesure générale, et dans l’attente de la décision du Congrès, ces Sauvages, qui n'en avaient plus que le nom, continuaient leur vie patriarcale sous la direction du jeune Missionnaire. Les lignes suivantes feront connaître le pasteur et le troupeau.

" ... Dans deux jours je partirai d'ici tout seul, allant à prés de trois cents milles répandre parmi des peuples que je ne connais point, mais auxquels Dieu m'envoie, des grâces ratifiées au ciel. Quand je me vois d'avance voyager en compagnie de mon Dieu reposant sur ma poitrine nuit et jour, portant sur mon cheval les instruments du grand sacrifice, m’arrêtant de temps à autre au fond des bois, et faisant de la chaumière d'un obscur catholique le palais du roi de gloire : oh! comme je me fie avec délices en lui!... Aller de messe en messe jusqu'au ciel!... " Vous le savez, souvent je disais que j'étais né heureux eh bien, j'avais toujours désiré une mission sauvage, nous n’en avons qu'une dans l'Indiana, et c'est moi que les Potowatomies vont appeler leur Père la Robe-noire. "

Arrivé au village indien, le Missionnaire décrit ainsi les joies de son ministère.

" Me voici à Chichipé-Outipé, au sein de mon église sauvage. Comme je les aime mes enfants, et comme je me plais au milieu d'eux! C'est toujours la même merveille, un incroyable mouvement de conversions parmi ces pauvres infidèles. Il y a maintenant mille à douze cents chrétiens; et puis une ferveur, une simplicité admirable et touchante!... Si vous voyez, quand j'entre dans une cabane, les petits enfants qui m'entourent et montent sur mes genoux; les père et mère qui se recueillent, font pieusement le signe de la croix, et avec un sourire confiant viennent me presser la main, vous ne pourriez vous défendre de les aimer comme moi. Quand on les visite, le soir, dans leurs cabanes, on les trouve la tête penchée sur le feu, chantant des cantiques, ou récitant le catéchisme a la lueur de leur brasier...

" j'ai maintenant la triste perspective de ma mission indienne bientôt détruite, et c'est comme un fond noir au tableau de ma vie présente. Les réclamations de mes pauvres Indiens n’ont pas été entendues. Pour moi, j’aurai a essuyer leurs larmes quand ils iront en exil j'aurai à détruire l'autel et l'église, à mettre en terre la croix qui s'élève sur leurs tombes, pour épargner à ces choses saintes d'hérétiques profanations ; et puis il faudra leur dire adieu pour ne les plus revoir! Et ces âmes chrétiennes iront se dessécher sans le secours des sacrements, dont ils s'approchaient avec tant d'amour, et languir sous un ciel inconnu. Oh! je ferai tout ce qui dépendra de moi pour ne pas les abandonner.

A quelque temps de là, le gouvernement américain s'empara de l'église où les Sauvages se réunissaient pour la prière. Alors, dit M. Petit, je rassemblais mes enfants à l'heure du départ. Nous, Mission qui mourrait, nous priâmes pour le succès des autres Missions, et nous chantâmes tous ensemble : "  Je mets ma confiance, Vierge, en votre secours. " Celui qui entonna eut la voix étouffée par un sanglot, et quelques voix seulement arrivèrent jusqu'à la fin. Il est triste, je vous assure, pour un Missionnaire de voir une oeuvre si jeune et si vigoureuse expirer entre ses bras.

Quelques jours après, j’appris que les Indiens, malgré leurs dispositions paisibles, avaient été surpris et faits prisonniers de guerre; que, poussés la baïonnette dans les reins , ils comptaient déjà dans leurs rangs un grand nombre de malades; que plusieurs, entassés dans des wagons de transport, étaient morts de chaleur et de soif...

A ces nouvelles, Monseigneur me permit enfin de rejoindre les émigrants. Le sourire reparut aussitôt parmi la désolation de l'exil; nous nous retrouvions en famille." De ce moment, l'émigration s'accomplit sans murmure. Ces sauvages avaient tout perdu; mais ils emportaient avec eux l'autel où Dieu nous donne sans fin l'exemple dit sacrifice, et pour fêter sa présence mystérieuse ils retrouvaient, eux proscrits, leurs cantiques de la terre des aïeux Un prêtre qu'ils aimaient, qui avait aussi tout quitté pour les servir, accompagnait leurs pas sous un ciel étranger, assistait leurs malades, bénissait les tombes des morts qu'ils semaient en grand nombre sur le chemin. Il ne les quitta qu'au terme de cette voie douloureuse, en les remettant aux mains des Pères jésuites, dont les établissements s'élèvent au centre du territoire indien .

(Ce territoire a pour limites la rivière Rouge au sud, le Missouri à l'est, le désert et les Montagnes-Rocheuses à l'ouest et au nord. Il réunissait déjà en 1838 les débris des nations suivantes : Punchas, Dourvas, Ottoes, Kansas, Osages, Kickapoux, Pottowatomies, Delawares, Sbawanons, Weas, Piankasbaws, Peorias, Kaskaskias, Ottawas, Senecas, Saucs, Quapaws, Creeks, Cherakees et Choctaws. C'est une agglomération d'environ cent mille sauvages. - Extrait d'une lettre du P. de Smet.)

Son oeuvre et sa vie étaient achevées; la fatigue avait épuisé ses forces; il mourut au retour, dernière victime d'une émigration dont il fut le consolateur

(Voici, d’après M. de Tocqueville, le tableau d'une émigration indienne. " A la fin de l'année 1831,  je me trouvais sur la rive gauche du Mississippi, à un lieu nommé par les Européens Memphis. Pendant que j’étais en cet endroit, il y vint une troupe nombreuse de Chactas ; ces sauvages quittaient leur pays et cherchaient à passer sur la rive droite du Mississippi, où ils se flattaient de trouver un asile que le gouvernement américain leur promettait. On était alors au coeur de l'hiver, et le froid sévissait cette année4à avec une violence inaccoutumée; la neige avait durci sur la terre, et le fleuve charriait d'énormes glaçons. Les Indiens menaient avec eux leurs familles; ils traînaient à leur suite des blessés, des malades, des enfants qui venaient de naître, et les vieillards qui allaient mourir. Ils n'avaient ni tentes, ni chariots mais seulement quelques provisions et des armes. Je les vis s'embarquer pour traverser le grand fleuve, et ce spectacle solennel ne sortira jamais de ma mémoire. On n'entendait parmi cette foule assemblée ni sanglots, ni plaintes ; ils se taisaient. Leurs malheurs étaient anciens, et ils les sentaient irrémédiables. Les Indiens étaient déjà tous entrés dans le vaisseau qui devait les porter; leurs chiens restaient encore sur le rivage lorsque ces animaux virent enfin qu'on allait s'éloigner pour toujours, ils poussèrent ensemble d'affreux hurlements, et, s'élançant à la fois dans les eaux glacées du Mississippi, ils suivirent leurs maîtres à la nage. ").

Mais ce n'était pas assez pour le catholicisme d'avoir adouci l'exil de quelques tribus, condamnées à périr comme l'arbre qu'on transplante sans cesse. Il fallait tenter au fond des plus âpres solitudes un dernier effort pour sauver des nationalités mourantes, en les convoquant au pied de la croix, ce mystérieux serpent d'airain qui peut seul rendre la vie à tout un peuple expirant au désert; il fallait, après avoir servi d'instrument de salut aux sauvages, que le Missionnaire essayât de donner la fertilité à leurs plaines incultes, et l'aspect de colonies florissantes à leurs bandes aussi malheureuses que désordonnées. Cet espoir, ne fût-il qu'un rêve généreux, mériterait encore, par sa courageuse initiative et ses premiers succès, de fixer les regards du chrétien.

Il y a seulement une quinzaine d'années qu'un petit nombre d'hommes apostoliques, jetant les yeux sur cette immensité de lacs, de prairies et de forêts qui s'étendent du St.-Laurent à la Colombie, et la voyant couverte de tribus infidèles, entreprit d'y faire entendre le nom et goûter les bienfaits du Dieu inconnu. Sans s'être concertés, mais obéissant à l'impulsion du même esprit qui les guide, ils y pénètrent par tous les côtés à la fois. Nous n'essayerons pas de suivre leurs courses dans ce désert où la tanière des bêtes féroces inspire moins d’effroi au voyageur que la hutte du sauvage quelques noms nous suffiront à jalonner leur route. En 1839, M. Proulx traverse le lac Huron sur un canot d'écorce, et fonde à Ste-Croix de Manitouline une chrétienté de sept cents Algonquins. M. Provenchère, s'élevant plus au nord, va s'établir sur la rivière Rouge, et de St-Boniface donne la main aux Missionnaires de la Baie d'Hudson et de l'lowa. Poussant encore plus loin dans cette voie périlleuse, MM. Blanchet et Demers ne s'arrêtent qu'aux rivages de l'Orégon, où M. Boldue vient les rejoindre à travers l'Océan Pacifique. Au midi, c'est M. Belcourt qui remonte le Mississippi jusqu'à sa source, et dresse tour à tour son autel nomade, tantôt dans le camp des métis qu'il suit à la chasse du bison, tantôt sous la tente des Mandanes, des Sauteux et des Assiniboines qu'il Visite pendant l'hiver, emporté. sur la neige par un attelage de chiens. C'est enfin le Père de Smet qui parvient, après mille lieues de détours, au Centre des Montagnes-Rocheuses, limites imposantes du monde atlantique, convertit les Têtes-Plates, les Pandéras et les Kalispels, réunit chaque soir dans une commune prière jusqu'à deux mille néophytes, représentants de vingt nations sauvages, proclame entre elles la paix de Dieu au désert, et ébauche la civilisation indienne par les premiers essais d'agriculture.

Les fruits ont dignement répondu aux sueurs des apôtres. A l’absence de tout établissement religieux dans ces contrées perdues, a succédé l'érection de quatre sièges épiscopaux et de deux vicariats apostoliques sur le territoire indien. Ces six Evêques ont, pour seconder le zèle de leur clergé, deux Congrégations de Missionnaires et deux Communautés de femmes. Sept à huit milles Sauvages déjà baptisés ne sont que les prémices de deux cents mille de leurs frères, qui appellent dans leurs tribus les Robes-noires, et s'offrent d'eux-mêmes aux conquêtes de la grâce. Leur piété est encore plus consolante que leur nombre " Il serait impossible, dit le Père de Smet, de voir sur terre une réunion d'hommes plus semblable à la compagnie des saints. Que ne puis-je vous peindre l'émotion dont j'étais saisi, en entendant ces enfants des montagnes chanter à la louange du Créateur un cantique solennel qu'ils avaient eux-mêmes composé. Ces deux mille voix s'élevant en choeur du sein du désert, avec cet élan d'une foi naissante qu'exaltait encore le calme religieux d'une belle nuit, et demandant à Dieu de mieux le connaître afin de lui témoigner plus d'amour, formaient pour moi le plus sublime concert. Ce n'est pas tout. La solitude a maintenant ses villages, ses défrichements et ses moissons: les gracieux souvenirs dit Paraguay semblent se réveiller aux Montagnes-Rocheuses avec leur parfum d'innocence et leur poésie patriarcale. A St-François Xavier de Wallamet, à, Ste-Marie chez les Tétes-Plates à St-Ignace: chez les Kalispels, au Sacré-Coeur de Jésus chez les Coeurs d'Alène, des bois ont été abattus, des bassins creusés, des chemins ouverts d'abondantes récoltes recueillies. La loge du blé s’élève déjà à côté de la maison de prière, et assure au sauvage les ressources de la prévoyance, comme sa hutte, fixée désormais aux champs qu'il cultive, lui promet les douceurs du foyer. O Eglise du désert ! puissent les vallées au fond desquelles tu t'abrites, te protéger assez contre la cupidité des blancs pour que leur influence ne vienne pas étouffer ta foi et ta civilisation au berceau

Un Missionnaire raconte qu'en 1836 un iconoclaste moderne, nommé Parkers, brisa une croix sur la tombe d'un enfant, en disant avec emphase qu'il ne voulait pas laisser au désert un monument d'idolâtrie, élevé en passant par quelque Iroquois catholique. Quinze ans se sont à peine écoulés, et s'il revenait aujourd’hui aux montagnes, il entendrait les louanges du Seigneur sur le bord des rivières et (les lacs, dans les prairies comme ait sein des forêts; il verrait la croix plantée de rive en rive sur un espace de trois Cents lieues, dominant la chaîne principale qui sépare les eaux du Missouri de celles de la Colombie, et suspendue avec amour ait cou de plus de quatre mille Indiens. Que n'est-il donné à ce briseur de croix de repasser aux mêmes lieux, et à la vue de cette famille immense, composée de tant de tribus diverses, prosternée devant l'image de Jésus crucifié avec une égale ferveur, et oubliant à ses pieds toutes les haines, toutes les rivalités de peuplades, peut-être que lui-même la saluerait avec eux comme notre unique espérance! O crux, ave, spes unica!

Tel est l'état dit catholicisme aux Etats-Unis, de cette Eglise qui est déjà un géant, bien qu'elle touche encore à son berceau. Quelles ressources matérielles ont favorisé son prodigieux essor ?. à peu près aucunes. En Amérique plus que partout ailleurs, la Religion n'a dû qu'à elle-même son établissement et ses progrès. Là point de monarque, nul prince qui ait édifié ses églises, fondé ses monastères, érigé et doté ses séminaires, ses collèges, ses universités, ses écoles, ses hôpitaux et ses refuges d’orphelins. Le clergé n'a trouvé aucun secours dans les revenus de ses évêchés et de ses paroisses. Les fidèles eux-mêmes, pour la plupart étrangers, venus en Amérique pour améliorer leur sort, ne pouvaient offrir que des largesses proportionnées à leur humble fortune; mais la Providence y a suppléé par les inépuisables trésors de la charité chrétienne. Voici d'abord les ressources locales. Les Evêques, ainsi que les Curés et les Missionnaires, n'ayant point de traitement, les offrandes volontaires des fidèles sont leurs seuls moyens de subsistance. Le plus souvent ces offrandes sont recueillies les dimanches et jours de fête, à l'église, pendant le chant du Credo, par quelques laïques chargés de ce soin. Dans la plupart des églises il y a des bancs pour l'usage des paroissiens et des étrangers, et leur rente annuelle couvre en partie les frais du culte.

S'agit-il d'une dépense considérable, par exemple d’élever une église ou un collège, alors on a recours aux souscriptions. L'Evêque ou le prêtre qui en propose l'érection, accompagné des catholiques les plus recommandables, porte de maison en maison un registre où le projet est discuté, et prie ceux auxquels il le présente de coopérer à la bonne oeuvre par une contribution volontaire. Cette mesure obtient généralement un heureux succès. II arrive souvent que les protestants eux-mêmes prêtent au Missionnaire un concours généreux. De cette manière on réalise au moins une partie des fonds les plus nécessaires, puis on s’adresse à l'Oeuvre de la Propagation de la Foi. Les six cent cinquante mille francs qu'elle a jusqu'ici alloués chaque année aux Missions américaines, sont le principal budget d'une Eglise qui s'étend des Florides à Vancouver et de Boston à la Californie. Pendant la dernière période de dix ans, nos Associés ont concouru pour près de sept millions à ses immenses progrès. Aussi l’Episcopat de l'Union ne cesse-t-il de nous nommer dans ses prières et sa reconnaissance. "Si votre Oeuvre, dit Mgr Hughes, Evêque de New-York, doit être regardée partout comme suscitée de Dieu pour devenir, à notre époque, la Providence visible des parties lointaines et indigentes du royaume de Jésus-Christ, c'est surtout aux Etats-Unis d'Amérique que ces titres la font bénir. Nulle part, peut-être, elle n'a opéré plus de bien que dans nos églises naissantes. Naguère la foi n'éclairait que les côtes maritimes de ce vaste pays aujourd'hui les émigrants catholiques, en quelque lieu qu'ils portent leurs pas, sont assurés de trouver des Evêques, des prêtres et des secours religieux... Heureux chrétiens d'Europe, ajoute le Prélat, vous n'avez eu qu'à recevoir de la foi de vos pères ces édifices et ces établissements religieux qui vous ont été transmis comme un riche héritage mais pour nous le passé n'a rien fait. C'est à notre faiblesse à tout entreprendre et à tout créer, en même temps qu'elle doit conserver et soutenir. Puisse le bien qui s'est déjà accompli par votre concours, dilater encore votre charité en faveur de nos immenses besoins! "

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