Considération sur la condition noire à la Guadeloupe en 1828
COLONIES FRANÇAISES.16 novembre 1828 - Gazette des tribunaux N°1022
Guadeloupe
(Extrait d'une lettre particulière)
Pointe à Pitre le 14 août 1828
Nous rapportons ici, sans y changer une seule expression, l'extrait d'une lettre particulière, écrite de Pointe-à Pitre par une homme de couleur :
"Notre situation loin de s'améliorer ici, empire de jour en jour. Il semble que les voix éloquettes qui ont plaidé pour nous ont réveillé le tigre colonial, et qu'il est devenu plus furieux que jamais. Vexations, humiliations, actes arbitraires, tout se multiplie envers les hommes de couleurs. Combien nous sommes à plaindre sous un système qui tient sans cesse un glaive pendu sur nous, comme l'épée du tyran sur la tête de Damoclès! L'avenir est-il rassurant? Nous en doutons encore, malgré les promesses solennelles qu'on nous a faites. Que nous offre le présent? Qu'une affligeante réalité. Ne reportons point nos regards vers le passé : nous y trouverions l'édit du grand Roi, et les regrets du passé ne feraient que redoubler les amertumes du présent. Le mot Liberté a retenti dans tous nos coeurs, et nous sommes encore sous le joug du despotisme!...
"Voici un fait révoltant : un jeune homme de couleur, nommé Hilaire, issu de légitime mariage, propriétaire et domicilié dans cette ville, se prend de querelle avec un vieux blanc, lequel le cite devant le commissaire de police Guillot. Celui-ci, sur des représentations à lui faites par Hilaire dans les termes les plus respectueux, s'emporte, le traite d'insolent; lui applique deux soufflets, et, non content de ce vigoureux coup de collier, il ordonne à ses satellites de saisir ce jeune homme, de le garotter et de le traîner en prison. Cet infortuné a été violemment maltraité, et ses habits ont été mis en lambeaux par les agents de police.
Depuis quelques jours il circule parmi les blancs le bruit que l'on propose de donner des droits civils à ceux d'entre nous seulement qui sont libres de naissance ou issus de légitime mariage. Nous reconnaissons bien là cette vieille tactique qui s'efforce de semer la division parmi nous, et de tourner à notre ruine les avantages qu'on nous promet. Mais nous demandons une mesure qui embrasse la généralité de la Classe, et nous sommes décidés à protester hautement contre toute mesure exceptionnelle. Que tous nos frères participent aux bienfaits, ou qu'on nous laisse aux fers.
Nous avons lu avec enthousiasme le discours éloquent de M. A. de Laborde et l'improvisation rapide et énergique de M. Eusèbe Salverte. Ils peuvent compter sur notre profonde reconnaissance; nous associerons désormais leurs noms à ceux des Benjamins Constant, des Lainé, etc. de cet Isambert, dont le souvenir nous attendrit, de ce digne avocat dont nous transmettront le nom à nos enfans."
Nous le répétons, c'est sans changer un seul mot que nous transcrivons cette lettre, où sont si bien exprimés de si nobles sentimens. Et voilà les hommes qu'on s'étonne de voir admis à la table des Français de la métropole! Voilà les hommes que nous devrions, selon le correspondant de la Gazette de France, rougir d'appeler nos semblables, nos frères, nos concitoyens!... Quelle horrible chose, grand Dieu! que l'esprit de parti!
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