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ANTHROPOMORPHISME ET ANICONISME

DANS L'ANTIQUITÉ ORIENTALE

SOMMAIRE

Dans tout le monde proche-oriental, l'absence d'effigies divines, objet d'un culte, aux temps préhistoriques tend à suggérer que des dieux proprement dits, anthropomorphes, n'ont été conçus que progressivement, à partir seulement de l'époque de la naissance de l'écriture protosumérienne en Mésopotamie. Au milieu du IIe millénaire, l'affinement intellectuel tendit à faire préférer, sans jamais imposer, les symboles aux effigies des dieux, dans les civilisations urbanisées. Mais là, la tradition préhistorique perpétuée chez les nomades restait en vigueur dans le culte des bétyles. Au Ier millénaire encore, toute idée de transcendance semble avoir été étrangère à cet aniconisme total ou partiel, exprimé dans des symboles aussi frustes que les masseboth. Ces symboles furent rejetés dans le royaume de Juda en même temps qu'une iconographie divine largement vidée de sa signification première.

SUMMARY

In all the Near-Eastern world, the non-appearance of divine images, for cultic prospects, on the prehistoric periods, suggests that divinities properly speaking, anthropomorphic, were conceived only progressively, from the time of the discovery of the proto-Sumerian script, in Mesopotamia. In the middle of the 2nd millennium B.C., the refined intellectual taste tended to prefer, without imposing them, the symbols to the images of the divinities, in the urbanized civilizations. But there, the prehistoric tradition preserved among nomads, stayed alive by the way of the cult of the betyles. Still, on the 1st millennium B.C., all notion of transcendence seems to have been foreign to this total or partial aniconism, expressed by symbols as rough as the masseboth. Those symbols were rejected in the kingdom of Judah together with a divine iconography mainly emptied of its original meaning.

 

La recherche récente qui s'est attachée à la naissance et aux étapes du développement de l'iconographie divine en Orient a montré que cette expression de la pensée théologique revêtait un intérêt majeur pour la compréhension d'une période décisive de toute l'histoire humaine 1. L'image ainsi organisée a été le plus souvent indépendante de l'écrit, considéré trop souvent comme référence absolue, alors qu'elle l'a précédé largement, sans en être nécessairement la simple illustration. Or la pensée religieuse ainsi exprimée par deux voies différentes mérite d'être considérée comme l'un des aspects privilégiés du développement intellectuel qui a dû conditionner les autres formes du développement. Son essor décisif a été pris lors de l'avènement d'une forme supérieure de civilisation urbaine, définissable pour la première fois en référence à l'histoire, potentielle puis proprement dite, puisque les civilisations identifiables comme sumérienne et égyptienne naquirent alors, dans le courant du IVe millénaire.

L'iconographie que l'on peut désigner comme complexe, par opposition à la pauvreté de celle des temps révolus, s'est trouvée associée au réalisme humain exprimant ce qui peut être considéré comme une forme archa;que d'humanisme. Elle a coincidé en outre avec la prise de conscience historique, incarnée dans une administration usant de l'écriture créée pour cela, et dans des formes de monarchie sacerdotale, distincte des anciennes chefferies et maîtresse de cette administration. Ces caractéristiques ont été intimement solidaires des États urbanisés dont il importe d'opposer ainsi la forme particulière à une urbanisation en somme abstraite et élémentaire, telle que l'envisageait l'ethnologie d'un Gordon Childe et de ses héritiers. Et l'essor de ce type de civilisation urbaine a marqué la fin des temps définissables, du coup, comme spécifiquement préhistoriques. Ces derniers se prolongèrent simultanément dans des civilisations urLaines qui ignoraient l'écriture et l'iconographie complexe associée au réalisme, par exemple en Palestine du Bronze ancien, et à plus forte raison, dans les autres types de civilisation plus archaïques.

L'intérêt de l'expression iconographique de la pensée dès les temps préhistoriques est longtemps passé presque inaperçu d'une érudition façonnée par une conception définissable comme " matérialiste" de l'évolution humaine. Jacques Cauvin a eu le mérite d'y opposer sa " théorie non matérialiste " 2 des causes de la mutation définie depuis Gordon Childe comme la Révolution néolithique. Tout en saluant cette prise de position et en jugeant qu'il importe de poursuivre les études préhistoriques dans la même voie, nous ne croyons pas pouvoir reconnaître des divinités proprement dites, ou leurs symboles, dans les figures de la femme nue et du taureau, considérées selon cette théorie comme essentielles dans l'iconographie néolithique. Le développement intellectuel dont elles seraient les témoins reste profondément obscur, même s'il mérite que l'on s'attache à l'expliciter, notamment dans son retentissement dans les domaines sociologique et économique, voire technologique. Le tournant décisif, il importe de le rappeler avec force, est survenu lors de la mutation suivante, dans le courant du IVe millénaire. Le développement intellectuel et théologique inauguré alors et révélé principalement par l'iconographie couvrit la plus grande partie du IIIe millénaire. Nous pouvons en rappeler brièvement les étapes, jalonnées par les figures suivantes:

1. Le Maître des animaux, caractéristique de la tradition néolithique finale, n'était certainement pas un dieu 3 (fig. 1), car il n'a jamais été représenté comme l'objet d'un culte.

 

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Fig. 1. - Cachet du Luristan, époque de Suse I, vers 4000 av. J.-C. Maître des

animaux. Louvre. P. AMIET, La Clyptique mésopotamienne archaïque, Paris, 198O, fig. 1569.

 

1 Pierre AMIET, " La naissance des dieux. Approche iconagraphique ". RB, CII (1995) p. 481-505.

2 Jacques CAUVIN, Naissance des divinités. Naissance de l'Agriculture. La Révolution des symboles au Néolithique. Paris, CNRS, 1994, p. 277. 3 P. AMIET, op. cit., p. 487.

3 P. AMIET, op. cit., p. 487.

 

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