Or c'est alors que très rapidement prirent leur essor les grandes métropoles sumériennes 5: Nippur d'abord, puis surtout Uruk, appelée à donner son nom à cette époque, et Suse 6 fondée cependant auparavant dans la plaine adjacente de l'actuel Khuzistan, associée alors à la Mésopotamie. Ces grandes villes, avec à Uruk une architecture monumentale impressionnante, dominaient les campagnes circonvoisines, riches elles aussi de leur population devenue très nombreuse et organisée en de multiples bourgs et villages. Ici et là avaient été abandonnés les vieux procédés de fabrication liés aux traditions archaïques, au profit d'une production de masse toute nouvelle. L'art de l'époque révolue, essentiellement lié au décor des vases, au pays de Sumer comme en Susiane, était caractérisé par une extraordinaire créativité qui stylisait systématiquement les êtres réels, pour les intégrer dans des compositions purement décoratives. Dans un cadre abstrait 7, l'animal y était l'objet de la prédilection, alors que l'homme apparaissait rarement, et toujours amputé de traits essentiels, du fait d'une sorte de crainte ou en tout cas de rejet caractéristique. Des maîtres mythiques des animaux, stylisés de la sorte, avec souvent une tête de capridé, avaient été souvent représentés sur les sceaux (fig. 1).
Fig. 1.—Cachet archalque du Luristan. Louvre, AO 26506. Vers 4000 av. J.-C.
Or désormais, les formes de l'art classiques 8, la sculplure en rondebosse et en bas-relief, pratiquement inconnues auparavant, naquirent d'un seul coup, à côté de la gravure des sceaux de forme cylindrique, véritable "banc d'essai" des autres arts, tandis que disparaissait le décor peint des vases. Et d'une part, un réalisme tout nouveau s'imposa dans un répertoire iconographique prodigieusement enrichi, ancêtre direct de celui qui allait se développer dans les grandes civilisations historiques de Sumer, de Babylone et d'Assur. D'autre part dans cet art, I'homme occupa une place majeure avec, à Suse 9, I'évocation privilégiée de ses occupations quotidiennes, comme du fait d'une fierté toute nouvelle, sous la direction, surtout à Uruk, d'un personnage bien typé, à la fois chef de guerre et officiant, donc roi-prêtre 10 (fig. 2), que ses prérogatives permettent de regarder comme I'ancêtre direct du roi de type sumérien tel que nous le connaissons par la littérature mise par écrit à une époque plus récente.
Fig. 2. — Empreinte de sceau-cylindre du niveau IV de l'Eanna d'Uruk.
Dessin de A. Bollacher. Vers 3300 av. J.-C.
Le bien fondé d'une telle filiation est garanti par l'éclosion simultanée de l'écriture, conçue pour transcrire une langue qui allait rapidement pouvoir être identifiée comme celle de Sumer, première entité historique avec l'Égypte, de l'Antiquité orientale.
5 Robert Mc ADAMS, Heartland of the Cities. Surveys of Ancient Settlement and Land use on the Central ftood plain of the Euphrates. Chicago, 1981, p. 51.