Scriptmania

ANTHROPOMORPHISME ET ANICONISME

DANS L'ANTIQUITÉ ORIENTALE (suite)

 

Dès le milieu du IIIe millénaire, un beau bétyle conique, isolé au centre de la cour intérieure du temple de Ninni-Zaza 22 semble avoir été l'unique symbole divin entouré d'une manière ou d'une autre par les statues de nombreux dévots soucieux de perpétuer leur présence priante. Par la suite à Mari, l'existence de pierres sacrées explicitement considérées comme des " demeures " de divinités et appelées sikkanum est bien attestée dans les archives de l'époque de Zimrilim 23, parallèlement à la forte tradition de l'anthropomorphisme divin dans l'art. Ces pierres ou bétyles paraissent avoir exprimé ce que nous appelons un archaïsme, correspondant à un flou théologique ou, plus largement, de la conception du sacré.

Particulièrement représentatives de cet archaïsme prolongeant la tradition préhistorique, apparaissent les stèles-idoles telles que celles de Tell Brak et de Tell Nebi Mend 24 sur lesquelles a été ébauché un visage humain délibérément incomplet. A cet égard, elles peuvent être considérées comme les héritières des pseudo-divinités néolithiques. Il en va de même des pendentifs en métaux souvent précieux, sur lesquels peuvent être détaillés seulement le visage et le sexe de la " déesse " 25 qui ne porte qu'exceptionnellement des attributs divins 26. Ces figures féminines sont proches-parentes des femmes nues façonnées en terre cuite dans toutes les civilisations antiques et représentatives par excellence de l'art expressif de façon très ambiguë de la pensée populaire. Il est abusif, quoique traditionnel, de les identifier avec Astarté ou Ashérah, surtout quand elles sont dédoublées, ou à plus forte raison multipliées, par exemple sur les maquettes architecturales 27. En fait, il s'agit selon toute vraisemblance de simples figures apotropa;ques.

Les stèles-idoles si semblables aux statues-menhirs de l'Europe occidentale devaient avoir une signification assez floue, de sorte que nous ignorons si elles symbolisaient des divinités ou des humains, morts ou vivants. La tradition des simples pierres levées totalement aniconiques est attestée en Israël dès la seconde moitié du IVe millénaire à Hartuv 28, mais l'ensemble le plus significatif reste celui qui fut encastré dans le rempart de Hazor au xive siècle 29. Il regroupait dix petites stèles et une statue d'homme assis qui ne saurait être divine. Il ne peut s'agir que d'un orant soucieux de perpétuer sa présence priante, donc au même titre que les gens moins fortunés ou plus frustes qui se sont contentés de stèles nues. Un seul a eu l'heureuse idée d'y faire représenter, beau symbole de sa prière, ses deux bras tendus vers le ciel évoqué par un corps astral. Ce dernier est identique à celui qui figure au sommet d'une petite stèle de Ras Shamra 30 dont il est difficile de préciser si elle symbolisait une divinité astrale, ou plutôt le dévot d'une telle divinité.

 

22 André PARROT, Les Temples d'Ishtarat et de Ninni-Zaza. Mission archéologique de

Mari, III (1967), p. 25. T. METTINGER, op.cit., p. 115 s.

23 Jean-Marie DURAND, " Le culte des bétyles en Syrie ". Miscellanea Babyloniaca, Mélanges offerts à Maurice Birot. Paris, 1985, p. 79-84. Id., La Religion en Syrie à l'époque des Royaumes amorrites d'après les docaments retrouvés à Mari. Paris, 1994, p. 69; 79 s., 109.

24 Agnès SPYCKET, "La statuaire du Proche-Orient ancien", Leiden, 1981, p. 261, n. 164. Cf. aussi les alignements de stèles d'Assur: J.-V. CANBY, " The Stelenreihen at Assur Tell Halaf and Masseboth"; Iraq, XXXVIII (1976), p. 113-128.

25 Ora NEGBI, Caneanite Gods in Metal. An Archaeological Study of Ancient SyoPalestinian Figurines. Tel Aviv, 1976, p. 95 s. et fig. 107 s.

26 Ora NEGBI, op. cit., p. 99-100 et fig. 118; 119.

27 Notamment: Jean MARGUERON, " Maquettes architecturales de Meskene-Emar", Syria, LIII (1976), p. 205, fig. 6-7. K. KENYON et P. R. S. MOOREY, The Bible and Recent Archaeology. London, 1987, fig. 56: autel de Pella. T. METTINGER, No Graven Image? (supra, note 21), p. 164, fig. 7.14.

28 T. METTINGER, op. cit., p. 181-182. Et dès le Néolithique récent à Nevali Çori au sud du Taurus: H. HAUPTMANN, 3 Ein Kultegebaude in Nevali Çori ", in: M. FRANGIPANE et al.: Between the Rivers and orer the Mountains. Archaeologica Anatolica et mesopotarnica Alba Palmieri dedicata. Roma, 1993, p. 37-69.

29 T. METTINGER, op. cit., p. 179-181 et fig. 7.28.

30 Marguerite YON, "Stèles de pierre ", in: Ras Shamra-Ougarit, Vl: Arts et Industries de la pierre, Paris, 1991, p. 293, n° 4.

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